Révolte, révolution, organisation

Qu’est-ce qu’une révolte? Une certaine expérience du temps, répond Furio Jesi dans cet extrait de Spartakus. Symbolique de la révolte, publié aux Éditions la Tempête. Là où une révolution s’inscrit délibérément dans la continuité du temps historique dont elle cherche à exploiter les tendances ou à provoquer le dénouement, la révolte se caractérise quant à elle par la suspension du temps historique: dans le moment de son surgissement, le geste insurrectionnel vaut pour lui-même, indépendamment de ses causes souterraines comme de ses conséquences à long terme. La révolte entretient ainsi un rapport dialectique à l’organisation, dont elle excède le cadre, mais qui doit en retour savoir l’inscrire dans un horizon stratégique plus large. Hors de cet horizon, le risque est en effet permanent de voir la révolte se transformer, pour le pouvoir, en occasion de reconquérir la maîtrise des espaces et des temps qu’elle avait su un moment lui disputer.

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À la condamnation morale du capitalisme la doctrine marxiste a ajouté la certitude que les lois d’airain de l’économie sont destinées à déterminer dans une certaine limite temporelle la désagrégation et l’effondrement du capitalisme. Ce n’est pas un hasard si Marx est resté fidèle à ses origines juives en transposant l’image du peuple élu dans le prolétariat mondial et le pacte d’Abraham avec Dieu dans la fatalité des lois économiques. La comparaison pourrait aussi être établie dans la perspective eschatologique du christianisme si le Christ n’avait pas explicitement affirmé que son règne « n’est pas de ce monde » (Jean 18:36). En revanche la terre promise appartient à ce monde, même s’il est pour le moins blasphématoire de l’identifier avec la Palestine qui peut être conquise et qui est conquise, aujourd’hui. Il est vrai aussi, par ailleurs, que le parallèle entre l’inévitable avenir meilleur annoncé par le marxisme et celui dont se « souvenaient » les prophètes juifs ne peut être que partiel. On ne peut pas conquérir la terre promise au moyen d’une lutte contre d’autres hommes à l’appartenance prédestinée, alors que l’état de bien-être et de justice prévu par le marxisme peut simplement être atteint si aux conséquences fatales des lois économiques s’ajoute la lutte des exploités contre les exploiteurs. Marx semble avoir été convaincu de son inévitabilité mais aussi de ce second aspect de la métamorphose économique et sociale. Face à l’augmentation croissante de la misère, de l’oppression et de l’exploitation devait forcément correspondre l’augmentation de la résistance de la classe ouvrière, « de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production capitaliste1 ». L’avènement du socialisme devait, selon toute vraisemblance, trouver ses prémices dans le capitalisme et s’affirmer en regard de la progressive et inévitable accentuation de ses contradictions internes. Les revers, les véritables défaites des classes exploitées ne pourraient aucunement changer la direction d’un processus profondément dramatique mais inaltérable et inévitable. Dans le même temps, la stratégie des organisations de la classe laborieuse devait être fondée sur une évaluation attentive de l’évolution des rapports de forces correspondant à des situations déterminées dans la dialectique interne au capitalisme, pour ne pas laisser échapper les occasions de se saisir du pouvoir quand ce serait possible, mais aussi pour éviter de mener vainement à la ruine les forces et les structures organisatrices quand une telle possibilité n’existe pas.

Il s’agit, en somme, d’une part, d’une évaluation correcte des temps fondée sur l’analyse des conditions économico-sociales et des rapports de forces du moment et, d’autre part, d’un travail progressif de mutation et d’organisation de la classe exploitée afin qu’elle ne se trouve pas mal préparée au moment de l’affrontement.

Cette orientation politique et la philosophie de l’histoire qui lui correspond rencontrent un grave obstacle dans le phénomène de la révolte. Nous utilisons le terme de révolte pour désigner un mouvement insurrectionnel différent de la révolution. La différence entre révolte et révolution ne tient pas aux objectifs de l’une ou de l’autre ; l’une et l’autre peuvent avoir le même objectif : s’emparer du pouvoir. Ce qui distingue fondamentalement la révolte de la révolution est une expérience différente du temps. Si l’on s’appuie sur le sens courant de ces deux termes, la révolte est une explosion insurrectionnelle improvisée qui peut s’insérer dans un projet stratégique mais qui en elle-même n’implique pas une stratégie à long terme ; la révolution est inversement un ensemble stratégique de mouvements insurrectionnels coordonnés et orientés sur une échéance relativement longue vers des objectifs définis. On pourrait dire que la révolte suspend le temps historique et instaure subitement un temps dans lequel tout ce qui s’accomplit vaut en tant que tel, indépendamment des conséquences et des rapports avec l’ensemble des phénomènes à caractère transitoire ou pérenne qui définit l’histoire. La révolution serait, en revanche, entièrement et délibérément calée dans le temps historique.

L’étude de la genèse et du développement de l’insurrection spartakiste permettra soit de vérifier l’exactitude de cette distinction, soit de mieux préciser l’expérience particulière du temps caractéristique de la révolte.

Dans les quinze premiers jours de janvier 1919, à Berlin, l’expérience du temps a changé. Durant quatre ans la guerre avait suspendu le rythme coutumier de la vie, chaque heure était devenue attente : attente de la prochaine manœuvre – la sienne ou celle de l’ennemi – et même une plus grande attente, celle de la victoire. Dans les premières journées de janvier 1919, cette attente mûrie pendant quatre ans semble comblée par l’apparition subite et très brève d’un temps inhabituel, dans lequel tout ce qui arrivait – avec une extrême rapidité – semblait arriver pour toujours. Il ne s’agissait plus de vivre ni d’agir dans le cadre de la tactique ou de la stratégie, dans lequel les objectifs intermédiaires pouvaient être très éloignés d’un objectif final préfiguré – plus grande était la distance et plus anxieuse était l’attente. « Maintenant ou jamais ! » Il s’agissait d’agir une fois pour toutes, et le résultat de l’action était contenu dans l’action même. Chaque choix décisif, chaque action irrévocable, signifiait être en accord avec le temps ; toute hésitation signifiait être en dehors du temps. Quand tout cessa, certains des protagonistes furent éjectés pour toujours.

Le 31 décembre 1918, le Spartakusbund (Ligue spartakiste) convoquait son congrès national2. Auparavant les spartakistes ne s’étaient pas dissociés du Parti social-démocrate indépendant (uspd), lequel participait désormais au gouvernement social-démocrate d’Ebert et de Scheidemann. Pour faire face et bloquer les compromis des dirigeants socialistes indépendants avec les sociaux-démocrates, les spartakistes demandèrent plusieurs fois durant l’hiver 1918 la convocation du congrès du Parti social-démocrate indépendant : ils pouvaient espérer rallier à leur position toute l’aile gauche du Parti qui polémiquait alors ouvertement avec les dirigeants du gouvernement. Pour les mêmes raisons, la direction du Parti empêcha la convocation du congrès. Il s’avérait donc impossible pour les spartakistes de soutenir la tactique alors prônée par Rosa Luxemburg dans les articles du journal Kampf de Duisbourg : adhérer au Parti social-démocrate indépendant – tout en conservant intacte leur propre autonomie de programme et d’action – pour profiter de la remarquable structure organisatrice du Parti et pour maintenir le rapport avec les masses qu’il pouvait garantir. Rester à l’intérieur du Parti social-démocrate indépendant signifiait désormais pour les spartakistes avaliser implicitement la participation au gouvernement social-démocrate, sans réussir à disposer des avantages de l’organisation du Parti pour préparer la lutte des classes. À ce moment-là, en Allemagne, il n’existait plus de parti de classe. La présence concrète d’un parti de classe semblait indispensable à la poursuite de la lutte : ce nouveau parti aurait probablement rassemblé, en plus des spartakistes, les soi-disant radicaux de gauche qui avaient toujours refusé d’adhérer au Parti social-démocrate indépendant, et une partie de l’aile gauche des socialistes indépendants. Pour ces raisons, la première délibération du congrès du Spartakusbund, le 31 décembre 1918, fut la fondation du Parti communiste allemand (kpd). Les radicaux de gauche qui s’y trouvaient réunis ce même jour décidèrent d’y adhérer.

Au congrès du Spartakusbund, désormais devenu formellement le congrès du Parti communiste allemand, se posait avant tout le problème de la participation ou non aux élections de l’Assemblée nationale. La direction du Spartakusbund, et en particulier Rosa Luxemburg, accepta de se présenter à ces élections et se déclara favorable à la participation à l’Assemblée nationale pour « attaquer et abattre ce bastion. […] Dénoncer sans hésitation et à haute voix toutes les manigances et tous les manèges d’une si digne assemblée, démasquer peu à peu son activité contre-révolutionnaire devant les masses, appeler les masses à se décider et à s’engager. » Malgré l’attitude de la direction, les délégués au congrès votèrent contre la participation aux élections. Rosa Luxemburg avait averti, en vain, le 1er janvier : « Nous ne pouvons continuer à nourrir l’illusion, retomber dans l’erreur de la première phase de la révolution, celle du 9 novembre, croire qu’il suffit, en somme, de renverser le gouvernement capitaliste et de le remplacer par un autre, pour faire une révolution socialiste. » La majorité des délégués était convaincue que la première tâche du nouveau parti consistait simplement en l’élimination immédiate des obstacles à la révolution et surtout du gouvernement social-démocrate. Ces obstacles étaient considérés comme des têtes à abattre. Beaucoup de têtes : les sociaux-démocrates, les capitalistes, les militaires. Toujours que des têtes à abattre, symboles du pouvoir à conquérir ; bataille, affrontement immédiat et direct donc puisqu’il n’y aurait plus de bataille par la suite, car la victoire dépendait seulement d’une épreuve de force et qu’ils étaient convaincus d’être assez forts. Les délégués avaient la conviction d’être forts : non pas parce qu’ils avaient tenu compte des préoccupations de Rosa Luxemburg quant au manque de structures révolutionnaires dans les campagnes, mais plutôt parce qu’ils possédaient la certitude que la conquête des symboles du pouvoir – et surtout la conquête de Berlin – leur assurerait nécessairement la victoire totale.

À Berlin, les forces révolutionnaires étaient assez considérables. Mais le 27 décembre, avant même que ne se conclût le congrès du Spartakusbund, on avait commencé, aux abords de la capitale, à concentrer les troupes sous les ordres du gouvernement social-démocrate. Le 4 janvier, Ebert et Noske passèrent à l’inspection, aux portes de la ville, l’armée de Lüttwitz, composée de la division des chasseurs à cheval, des 17e et 31e divisions d’infanterie, du corps provincial des chasseurs et du corps franc Hülsen. À l’aube de la même journée le ministre de l’Intérieur destitua d’autorité le préfet de police Eichhorn, un socialiste indépendant contre lequel, depuis le 1er janvier, le journal social-démocrate Politisch-Parlamentarische Nachrichten avait lancé une campagne de calomnie en l’accusant d’avoir usé des deniers publics pour préparer la guerre civile. Eichhorn, en tant que préfet de police, ne dépendait pas du ministre de l’Intérieur mais du Conseil exécutif de Berlin. Il refusa d’accepter sa destitution et se dit prêt à se soumettre aux décisions du Conseil central des Conseils d’ouvriers et de soldats. Bien que les socialistes eurent la majorité au Conseil central, le gouvernement refusa. À ce moment, le Parti social-démocrate indépendant3 annonça pour le 5 janvier une manifestation en faveur d’Eichhorn, lequel adhéra alors au Parti communiste. Des centaines de milliers de manifestants se rassemblèrent sous les fenêtres de la préfecture de police et exhortèrent Eichhorn à rester à son poste, se déclarant prêts à le défendre. Simultanément eut lieu une réunion de la direction du Parti social-démocrate indépendant, des délégués révolutionnaires et des deux représentants du Parti communiste, Karl Liebknecht et Wilhelm Pieck. La réunion se termina non seulement sur la décision de défendre Eichhorn mais aussi de renverser le gouvernement social-démocrate d’Ebert-Scheidemann. Venait de se constituer un comité révolutionnaire présidé par Karl Liebknecht, Paul Scholze et Georg Ledebour.

En moins d’une semaine, la révolte – et le refus de participer aux élections – à laquelle s’était ralliée la majorité des délégués au congrès du Spartakusbund était devenue immédiatement réalité. Nous disons révolte et non révolution en nous fondant sur la distinction que nous avons déjà relevée. Le terme révolution désigne précisément le complexe d’actions à longue et brève échéances faites par celui qui est conscient de vouloir changer dans le temps historique une situation politique, sociale, économique et qui élabore ses propres plans tactiques et stratégiques en analysant constamment dans le temps historique les rapports de cause à effet, dans la perspective la plus longue possible. Le 1er janvier 1919 Rosa Luxemburg avait précisé : « J’ai essayé de vous démontrer que la révolution du 9 novembre a été avant tout une révolution politique et qu’il lui faut devenir essentiellement économique. […] Je veux dire par là que l’histoire nous rend la tâche moins aisée que lors des révolutions bourgeoises où il suffisait de renverser le pouvoir officiel au centre et de le remplacer par quelques douzaines d’hommes nouveaux, tout au plus. Nous devons agir à la base, ce qui correspond bien au caractère de masse de notre révolution dont les objectifs visent les fondements, les racines mêmes de la constitution sociale, ce qui correspond au caractère de la révolution prolétarienne actuelle ; nous devons conquérir le pouvoir politique non par le haut mais par le bas. Le 9 novembre, on a tenté d’ébranler les pouvoirs publics, l’hégémonie de classe, une tentative débile, incomplète, inconsciente, chaotique. Ce qu’il faut faire maintenant, c’est diriger, en pleine conscience, toute la force du prolétariat contre les fondements de la société capitaliste. C’est à la base, là où chaque employeur fait face à ses esclaves salariés, c’est à la base, là où les organes exécutifs de la domination politique de classe font face aux objets de cette domination, c’est à la base que nous devons arracher, bribe par bribe, aux gouvernants les instruments de leur puissance pour les prendre en main. »

Toute révolte peut inversement se décrire comme une suspension du temps historique. La plus grande partie de ceux qui participent à une révolte choisissent d’engager leur propre individualité dans une action dont ils ne connaissent ni ne peuvent prévoir les conséquences. Au moment de l’affrontement, seule une petite minorité est consciente de l’intégralité du projet stratégique dans lequel se place cet affrontement (si un tel projet existe) qui se déroule comme une précise et même hypothétique concaténation de causes et d’effets. Dans l’affrontement de la révolte se dégagent les composants symboliques de l’idéologie qui ont mis en œuvre la stratégie ; seuls ceux-ci sont perçus par les combattants. L’opposant du moment devient véritablement l’ennemi ; le fusil, le bâton ou la chaîne de vélo deviennent véritablement l’arme ; la victoire du moment – partielle ou totale – devient vraiment, en soi, un acte juste et bon pour la défense de la liberté, la défense de sa propre classe, l’hégémonie de sa propre classe.

Toute révolte est bataille, mais une bataille à laquelle on a délibérément choisi de participer. L’instant de la révolte détermine la fulgurante autoréalisation et objectivation de soi comme partie de la collectivité. La bataille entre le bien et le mal, entre la survie et la mort, entre réussite et échec, dans laquelle chacun est chaque jour individuellement engagé, s’identifie avec la bataille de toute la collectivité : tous ont les mêmes armes, tous affrontent les mêmes obstacles, le même ennemi. Tous expérimentent l’épiphanie des mêmes symboles : l’espace individuel de chacun, dominé par des symboles personnels, le refuge hors du temps historique que chacun retrouve dans sa propre symbolique et dans sa propre mythologie individuelles. Ce refuge s’amplifie, devenant l’espace symbolique commun à une collectivité entière, le refuge hors du temps historique dans lequel une collectivité entière trouve son salut.

Toute révolte est circonscrite dans les limites précises du temps historique et de l’espace historique. Avant et après celle-ci, s’étendent le no man’s land et la durée de vie de chacun, dans lesquels s’accomplissent d’ininterrompues batailles individuelles. Le concept de révolution permanente révèle – plutôt qu’une durée ininterrompue de la révolte dans le temps historique – la volonté de pouvoir suspendre à chaque instant le temps historique pour trouver un refuge collectif dans l’espace et dans le temps symboliques de la révolte.

Jusqu’à l’instant précédant l’affrontement ou bien jusqu’à l’action prévue pour initier la révolte, le révolté en puissance vit dans sa maison ou son abri, souvent avec ses proches ; et pourtant la résidence et le milieu sont provisoires, précaires et conditionnés par la révolte imminente : tant que la révolte n’a pas débuté ils sont le siège d’une bataille individuelle, plus ou moins solitaire, qui continue d’être identique à celle des journées où la révolte ne s’annonce pas comme imminente : la bataille individuelle entre le bien et le mal, entre survie et mort, entre réussite et échec. Le sommeil avant la révolte – admettons que la révolte commence à l’aube ! – pourra être calme comme celui du prince de Condé, mais ne possède pas la quiétude paradoxale de l’instant de l’affrontement. Dans le meilleur des cas, c’est une heure de trêve pour l’individu qui s’est endormi sans cesser de penser à cet instant.

On peut aimer une ville, on peut reconnaître les maisons, les rues dans sa plus lointaine et sa plus tendre mémoire ; mais c’est seulement à l’heure de la révolte qu’on appréhende vraiment la ville comme sa ville : elle est en même temps sa propre ville et celle des « autres » ; parce qu’elle est champ de bataille choisi par soi et par la collectivité ; parce qu’elle est un espace circonscrit dans lequel le temps historique est suspendu et dans lequel chaque acte vaut pour lui-même, dans ses conséquences absolument immédiates. On s’approprie davantage une ville en la fuyant ou en s’y exposant qu’en jouant, enfant, dans ses rues ou qu’en s’y promenant, plus tard, avec une fille. À l’heure de la révolte on n’est plus seul dans la ville.

Mais quand la révolte est passée, indépendamment de son existence, chacun redevient un individu dans une société meilleure, identique ou pire que la première. Quand l’affrontement est fini – on peut être en prison, dans une cachette ou tranquillement à la maison – recommencent les batailles individuelles quotidiennes. Si le temps historique n’est pas ultérieurement suspendu par des circonstances et pour des raisons qui peuvent être étrangères à la révolte, on évalue chaque événement et chaque action en fonction de leurs conséquences affirmées ou présumées.

La fondation du Parti communiste allemand avait précédé de quelques jours seulement le début de la révolte spartakiste. Déjà lors de la première délibération du congrès du Parti on pouvait reconnaître – sûrement après coup – la plus grave contradiction idéologique et stratégique destinée à révéler, avec la plus grande évidence, l’échec de la révolte. Par soixante-deux votes contre vingt-trois, les délégués du congrès refusèrent la participation du Parti aux élections de l’Assemblée nationale. Rosa Luxemburg s’efforça de reconnaître dans ce choix, qui lui semblait erroné et contre lequel elle s’était exprimée, l’erreur presque évidente et réparable d’une organisation encore balbutiante : « Il est naturel qu’un nouveau-né crie. » Il semble en revanche que Leo Jogiches ait été particulièrement choqué par le vote du congrès et ait estimé que la fondation du Parti avait été probablement prématurée.

En réalité, il semble aujourd’hui que la fondation du Parti, plutôt que prématurée, avait surtout été inconsistante. Le tout nouveau Parti communiste allemand n’était pas – nous devrions dire : n’était pas encore – un parti. Son instrumentalisation par l’adversaire qui l’entraîna dans la révolte rencontra peu d’obstacles, parce qu’il ne s’agissait pas encore d’un parti mais, au-delà des apparences formelles, d’un regroupement d’hommes doués d’une plus ou moins forte conscience de classe et de volonté de lutte. Quand les circonstances, soigneusement préparées, portèrent la tension à son point de rupture, ce ne fut plus un parti mais un étendard de la révolte.

L’échec de la révolte spartakiste (et ce, dès les débuts de la révolte) fut caractérisé par une très grave crise d’organisation et de direction politique. Débuter la révolte constituait déjà une erreur, mais une faiblesse autrement plus grave se manifesta dans l’incapacité que le Parti présentait à limiter la portée de la défaite.

À la distinction entre révolte et révolution, on peut ajouter ici l’observation d’une contradiction de fond entre parti et révolte. Le Parti communiste allemand ne manquait pas de dirigeants capables et fondamentalement révolutionnaires. Dans sa presque totalité, la direction du Parti était d’accord avec Rosa Luxemburg sur l’utilité de se présenter aux élections de l’Assemblée nationale afin de la décomposer de l’intérieur et de l’utiliser comme tribune pour appeler les masses à une plus grande et plus efficace maturité politique. Faudrait-il accuser les dirigeants d’avoir sacrifié leur ligne de conduite à des scrupules démocratiques ? D’avoir proposé au vote, plutôt que d’affirmer d’autorité, le seul programme qu’ils considéraient comme efficace ?

La contradiction entre parti et révolte met à jour les termes de la très grave crise que les partis traversent depuis cinquante ans autour de l’idée de lutte des classes. Il ne semblait pas réaliste non plus de proposer un changement de la direction politique du Parti comme manifestation pure et simple de la volonté de lutte chez les insurgés. En de multiples circonstances les partis des classes exploitées ne sont en mesure ni de promouvoir la maturité révolutionnaire de ces classes ni de conduire dans ce processus de maturation la puissance de lutte destinée à aboutir, sinon dans la révolution, du moins dans la révolte.

En 1919 le Parti communiste allemand n’avait pas eu le temps de mener à son terme sa politique de classe, puisque quelques jours après sa fondation la révolte avait déjà éclaté. Il faut alors analyser les raisons qui ont conduit ce Parti à ne pas pouvoir être – donc à ne pas avoir été – un parti, mais seulement le regroupement d’une classe en révolte.

Il n’est pas rare qu’un parti politique soit hostile à l’imminence de la révolte désirée par une partie de ses membres ou au moins par ceux qui professent une idéologie formellement identique à la sienne. Cette réalité collective du parti (peut-être faut-il préciser : du parti de classe) peut se trouver en contradiction avec la réalité collective déterminée dans la révolte.

Partis et syndicats de classe sont des réalités collectives autant qu’objectives : de telles réalités sont collectives parce qu’elles constituent objectivement les structures de l’ensemble des relations existantes à l’intérieur de la classe et entre la classe et l’extérieur. Ainsi les « relations » de ces réalités épuisent intégralement le domaine d’activité de la classe à l’intérieur et vers l’extérieur. En raison de ce caractère exhaustif, les partis et les syndicats de classe peuvent se révéler hostiles à l’imminence de la révolte. Dans la révolte se manifeste en fait une réalité qui est tour à tour objective, collective, exhaustive, exclusive. Partis et syndicats sont rejetés hors de la révolte dans « l’avant » et dans « l’après » de la révolte elle-même. Ou bien ils acceptent de suspendre temporairement leur propre conscience de valeurs ou bien ils se trouvent en concurrence ouverte avec la révolte. Dans la révolte, partis et syndicats n’existent plus : existent seulement des groupes contestataires. Les structures organisationnelles des partis et des syndicats peuvent aussi être utilisées par ceux qui préparent la révolte : mais dès que la révolte a commencé, ils ne sont plus que les instruments garants de l’affirmation des valeurs intrinsèques à la révolte, plutôt que de celles du parti ou du syndicat. Les idéologies des partis et des syndicats peuvent être celles des insurgés, mais dans l’instant de la révolte les insurgés perçoivent uniquement les éléments symboliques. Ceci ne se produit que lorsque les partis et les syndicats agissent de la sorte. Dans la vie du parti ou du syndicat, les éléments symboliques de l’idéologie ne manquent pas de poids mais ne deviennent jamais le seul élément idéologique : partis et syndicats de classe sont des structures inscrites dans le temps et dans l’espace historique – la révolte est suspension du temps et de l’espace historique. Nous disons précisément suspension et non évasion, puisque d’habitude on entend par évasion un choix fatalement imposé par la faiblesse face aux douleurs de l’histoire, alors que la révolte – la suspension du temps et de l’espace historique – peut correspondre à un choix stratégique précis. Nous voulons dire, donc, que la révolte peut aussi être évasion, mais pas seulement évasion.

La participation à la vie du parti ou du syndicat de classe est déterminée par le choix d’une série ininterrompue d’actions dans laquelle on pense que s’exprime la conscience de classe. La participation à la révolte est déterminée par le choix d’une action qui s’achève d’elle-même et qui pourra, de l’extérieur, être perçue comme insérée dans un contexte stratégique mais qui, de l’intérieur, apparaît comme absolument autonome, isolée, valide en tant que telle, indépendamment de ses conséquences non immédiates.

Les membres d’un parti ou d’un syndicat de classe peuvent, en tant que tels, décider de l’opportunité stratégique d’une révolte : cela signifie qu’ils décident de suspendre temporairement la vie du parti ou du syndicat. Une telle décision peut être motivée par les conséquences présumées de la révolte – celle-ci étant vue, de l’extérieur, dans un contexte stratégique, non comme une action achevée mais comme la cause d’effets présumés et déterminés. Mais parce que cela signifie choisir la révolte, non comme réalité interne mais comme réalité externe, un tel choix instrumentalise les possibles insurgés dans la mesure où il est effectué par une minorité. Qui ne fait pas le choix stratégique de la révolte mais se trouve devant l’occasion de la révolte – occasion fournie par celui qui en a effectivement fait le choix – est instrumentalisé. Ses actions dans la révolte sont hypothéquées et utilisées par ceux qui ont décidé stratégiquement la révolte. L’insurgé qui appartient à un parti ou à un syndicat et dont les cadres dirigeants ont décidé la révolte est instrumentalisé ; la participation à un parti ou à un syndicat n’implique pas la participation à l’éventuel choix stratégique de la révolte qui peut être réalisé par la direction du parti ou du syndicat, ou même par quelques dirigeants. Parti ou syndicat d’un côté, révolte de l’autre, sont deux réalités intrinsèquement autonomes. Par analogie, on peut dire que le choix de la révolte par quelques membres d’un parti ou d’un syndicat (et non par le parti ou par le syndicat, c’est-à-dire par leurs cadres dirigeants) n’oblige ni le parti ni le syndicat. Cette affirmation semble cependant peu réaliste, puisqu’un tel choix pourrait ne pas engager la responsabilité du parti ou du syndicat à décider de la révolte, et cependant – au vu des conséquences historiques – impliquerait aussi dans la révolte les non-consentants, les non-responsables, les structures organisatrices du parti ou du syndicat. Un parti ou un syndicat de classe ne peuvent pas être impliqués dans une révolte puisque leur dimension, leur réalité collective, leur valeur, ne peuvent pas être celles de la révolte. Il s’agit ici d’un point de vue théorique. Tout en n’étant pas impliqués de cette manière, partis et syndicats de classe sont fatalement obligés de subir les conséquences de la révolte si elle a lieu. Mais pas seulement : le déclenchement de la révolte pose aux membres les plus importants des problèmes et des contradictions extrêmement graves, devant lesquels tout choix a des conséquences déterminantes pour la vie future du parti ou du syndicat ainsi que pour la lutte des classes. On peut dire que, au moment de la révolte, les responsables du parti ou du syndicat doivent choisir de favoriser une révolte non voulue, pour pouvoir ensuite exercer énergiquement contre elle leur critique.

La révolte spartakiste échoua. Les insurgés ne réussirent pas à s’emparer des symboles du pouvoir ni même de leurs instruments. Il devint évident, quand la révolte fut terminée, qu’elle avait considérablement servi le pouvoir auquel elle s’était attaquée. Nous seulement parce que, en dix jours de combats, le prolétariat berlinois avait perdu un grand nombre de ses activistes et la quasi-totalité de ses dirigeants, non seulement parce que les structures organisatrices des classes avaient cessé d’exister, mais aussi parce que les insurgés avaient accompli cette suspension du temps historique et cet arrêt indispensables à ceux qui détiennent le pouvoir de rétablir le temps normal, suspendu pendant les quatre années de guerre.

Une trop longue attente risque de devenir spasmodique ; une action temporellement trop éloignée de ses conséquences risque de provoquer une attente prolongée et dramatique à partir de laquelle peuvent naître des bouleversements. Dans de telles circonstances, une bonne politique consiste, pour qui détient le pouvoir, à faire en sorte que l’excitation d’une attente trop longue se libère en temps voulu et dans une forme voulue. On peut dire, encore, que la tension accumulée mène, à l’opposé d’une révolte, à une révolution. On peut dire, aussi, que – si l’on ne provoque pas délibérément cet arrêt – la tension de l’attente se transforme en énergie révolutionnaire organisée. Dans ce cas, sans doute, l’affrontement direct viendra beaucoup plus tard – mais sera beaucoup plus dangereux, parce qu’un long travail de consolidation des formes révolutionnaires, menaçant non seulement pour les symboles du pouvoir mais aussi pour les structures économiques et sociales effectives de l’État capitaliste, l’aura précédé.

C’est pour ces raisons que la révolte spartakiste fut utile au pouvoir contre lequel elle s’était battue. Il était indispensable pour le pouvoir de restituer le temps normal ; et c’est seulement par la révolte et la chute que le temps normal pouvait être restitué.

Le temps normal est non seulement un concept bourgeois, mais aussi le résultat d’une manipulation bourgeoise du temps. Il garantit à la société bourgeoise une existence tranquille. Mais il peut délibérément être suspendu quand c’est nécessaire : les seigneurs de la guerre ont toujours besoin d’une suspension du temps normal pour pouvoir organiser leurs manœuvres meurtrières. Les plans de mobilisation prévoient, précisément, une suspension du temps normal et la venue la plus rapide possible – de l’ordre de quelques jours – d’une autre expérience du temps nécessaire aux intérêts politiques et économiques d’une guerre. Tant que dure la guerre, les hommes sont placés dans un temps différent et sont contraints de vivre une expérience différente du temps. Pour les soldats, les heures se mesurent en fonction des tours de garde, des cadences rigoureuses des marches, de la réalisation des tranchées et des fortifications, des attaques, des destructions des cibles déterminées. La cuisine mobile du camp (on se réfère ici en particulier à la période que nous étudions, ainsi qu’à celle de la Première Guerre mondiale) par exemple, confirme l’importance des changements de rythme. L’approvisionnement en vivres, conditionné par l’organisation militaire et la situation du front, altère de façon fondamentale le rythme de la journée. On ne mange pas quand « le paysan revient fatigué à la ferme » ni quand les ouvriers, au son de la sirène, se dirigent vers la cantine, mais quand la cuisine du camp apparaît avec ses richesses fumantes ou froides. On ne mange pas la nourriture préparée à la maison, toujours pauvre ou riche, mais la nourriture que les circonstances – et donc le temps – ont permis de préparer. Mais pas seulement ; le facteur temps est encore plus lugubrement déterminant : dans la cantine du camp on mange des quantités de nourriture plus grandes quand, dans le même temps, le nombre de morts croît.

Pendant la guerre le temps habituel ne se maintient pas. Pour les soldats, l’alternance de lumière et d’ombre signifie la fin des opérations belliqueuses ; ils se déplacent de nuit, se reposent le jour… Telle est la Première Guerre mondiale. Les civils restés à la maison ne subiront pas ces conditions contrairement aux habitants des villes durant la Seconde Guerre mondiale ; les offensives aériennes en sont en effet à leurs débuts. Les habitants des villes et des campagnes, les civils, expérimenteront aussi – durant la Première Guerre mondiale – un temps différent. Beaucoup de bourgeois ont, à la maison, une carte géographique sur laquelle ils indiquent avec des petits drapeaux ou des épingles à tête colorée les mouvements des troupes. Ils savent tous que cela se fait tant que la guerre dure et ne vaut qu’en fonction de la guerre. Dans les usines on travaille pour la guerre, dans les maisons on vit au rythme de la guerre. En plus, le mari, le père ou le frère sont au front. Toute décision importante concernant l’avenir est remise à l’après-guerre. Dans les foyers on mesure le temps comme dans les états-majors. Une des plus importantes modalités de perception du temps, l’attente, est profondément altérée par l’attente forcée à laquelle les états-majors consacrent toute leur attention.

Une fois la guerre terminée, cette attente de quatre années doit trouver son exutoire. Pendant quatre ans on a attendu quelque chose. Ce « quelque chose » n’est pas la victoire. On a donc besoin de donner un exutoire à l’attente, on a besoin de transformer l’expérience du temps. « Temps de paix, sainte nuit. » Cependant la sainte nuit, indispensable, n’est pas suffisamment comblée par la révolution de novembre 1919. Philipp Scheidemann, qui proclame la République dans le palais de Berlin, est le trop modeste annonciateur d’une trop modeste bonne nouvelle. L’annonciateur et l’annonce ne suffisent pas vraiment à changer l’expérience du temps. Il faut quelque chose de plus : tout profond changement de l’expérience du temps est un rituel qui réclame des victimes humaines. Hérode est passé à la postérité comme un terrible bourreau (le massacre des Innocents). Mais ici il ne s’agit pas seulement d’un sacrifice sanglant : ici – à la fin de la Première Guerre mondiale – l’expérience du temps ne peut changer qu’avec un sacrifice sanglant particulier. « Chaque choix décisif, chaque action irrévocable, signifiait être en accord avec le temps. Quand tout cessa, certains des protagonistes furent éjectés pour toujours. »

À la fin de la manifestation en faveur de Eichhorn, des groupes de travailleurs avaient occupé les bureaux et les ateliers typographiques du journal socialiste Vorwärts et de tous les quotidiens importants de la capitale. Le matin suivant, le 6 janvier, l’imprimerie nationale, où étaient imprimés les billets de banque, fut aussi occupée par les ouvriers. Des témoignages dignes de foi prouvent que l’initiative d’occuper les journaux et les imprimeries avait été favorisée par des agents de la Kommandantur de Berlin.

Le même jour, le comité révolutionnaire distribua des armes aux insurgés et tenta d’occuper le ministère de la Guerre. Des groupes d’ouvriers, de leur propre initiative, occupèrent les gares. Alors que la lutte faisait rage dans les rues, le comité révolutionnaire passait de très longues heures en réunions : lors de ces exténuantes discussions les membres du comité parvinrent à la conclusion qu’il convenait de négocier avec l’adversaire. En même temps, à Düsseldorf et à Brême, les Conseils d’ouvriers et de soldats s’emparèrent du pouvoir ; en Rhénanie les troupes contre-révolutionnaires avaient été battues. À Berlin, cependant, des milliers de combattants ouvriers se sacrifièrent dans la défense des positions stratégiques qui, désormais – comme si l’heure était encore à la lutte – ne pouvaient plus être tenues longtemps (Berlin représentait le véritable centre de la lutte des classes). Dans la nuit du 8 au 9 janvier les troupes contre-révolutionnaires prirent, sous le feu des mitrailleuses, la rédaction de la Rote Fahne sur la Wilhelmstrasse et tentèrent un assaut qu’elles retardèrent par crainte (en réalité injustifiée) d’un piège. Le 9 la rédaction fut abandonnée. Au soir du 10 janvier, alors que les tractations entre le gouvernement social-démocrate et le Parti social-démocrate indépendant qui avait initié la révolte étaient encore en cours, la Kommandantur de Berlin réussit à arrêter subitement un certain nombre de dirigeants sociaux-démocrates indépendants et de communistes, parmi lesquels Georg Ledebour et Ernst Meyer. Ledebour était alors un des délégués aux négociations. À l’aube du 11 janvier ces négociations s’achevaient comme elles avaient commencé, vainement. Dans le même temps commença le bombardement à l’artillerie lourde du siège du Vorwärts occupé par les ouvriers. Ces derniers repoussèrent une première attaque des troupes ; mais après deux heures de bombardements, les trois cents survivants furent obligés d’accepter la reddition sans condition. Les troupes démolirent le siège du Parti communiste de la Friedrichstrasse et arrêtèrent Leo Jogiches et Hugo Eberlein. Le soir se tint une longue réunion, en présence de Liebknecht, dans l’appartement à côté de la porte des Halles dans lequel s’était réfugiée Rosa Luxemburg après avoir abandonné la rédaction de la Rote Fahne sur la Wilhelmstrasse. Puisque cette zone était désormais le centre des combats, Liebknecht et Luxemburg partirent immédiatement chez une famille ouvrière dans le quartier ouvrier de Neukölln où les troupes contre-révolutionnaires n’osaient pas encore entrer de force. Dans le même temps, tous les parlementaires (sauf un) occupant le Vorwärts, dépêchés avant la reddition des ouvriers, furent tués. Le 13 janvier une information probablement fausse demandait à Liebknecht et à Luxemburg d’abandonner l’appartement insuffisamment sûr de Neukölln et de rejoindre des amis à Wilmersdorf. Ils avaient auparavant violemment refusé de chercher un refuge sûr à Francfort suite à une exhortation qui leur avait été adressée. À Wilmersdorf, Liebknecht et Luxemburg écrivirent quelques articles afin de « faire le bilan des événements, les mesurer, eux et leurs résultats, au grand étalon de l’histoire. ». À 9 heures le 15 janvier, Liebknecht, Luxemburg et Pieck furent arrêtés dans leur refuge et conduits à l’hôtel Eden. Quelques heures plus tard le cadavre de Liebknecht fut porté – comme celui d’un inconnu – à un poste de premier secours ; celui de Rosa Luxemburg fut jeté du pont du Liechtenstein dans le Landwehrkanal, où il refit surface cinq mois plus tard. La révolte continuait à suspendre le temps historique : durant le printemps 1919 circulait dans les quartiers ouvriers de Berlin la légende que Rosa Luxemburg n’avait pas été tuée, qu’elle avait échappé aux troupes et qu’elle reviendrait – le moment venu – de nouveau à la tête des combattants pour les mener vers la victoire.

Texte publié avec l’aimable autorisation des Éditions la Tempête

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  1. K. Marx, Le Capital [Das Kapital (1867)]. Livre I, vol. 2. Trad. J. Roy, Champs Flammarion, Paris, 1985, p. 206. []
  2. Les sources principales dont nous nous sommes servi pour la reconstitution des événements sont d’abord les écrits de Rosa Luxemburg, dont on trouvera une bibliographie détaillée dans le volume des Scritti politico sous la direction de L. Basso (Rome, 1967), et ensuite les deux biographies fondamentales de Rosa Luxemburg par P. Frölich (Maspero, Paris, 1965) et par J.P. Nettl (Maspero, Paris, 1972). Voir encore : E. Waldman, Spartacist Uprising of 1919 and the Crisis of German Social Movement (Marquette University Press, Milwaukee, 1965). [Ndt : Rosa Luxemburg, Œuvres II : Écrits politiques 1917-1918. Trad. C. Weill, Maspero, Paris, 1969.] []
  3. Le Parti social-démocrate indépendant avait été pratiquement obligé de quitter le gouvernement à la fin de 1918, devant certaines exigences inacceptables des sociaux-démocrates (restitution du commandement aux généraux de l’armée impériale, reprise de la guerre contre la Pologne et la Russie). []
Furio Jesi