Les chronotopes d’Allan Sekula : le capitalisme inégal et combiné

Allan Sekula était l’un des plus importants photographes, cinéastes et essayistes marxistes contemporains. Son travail a consisté à représenter la part enfouie du capitalisme contemporain : à l’heure du triomphe apparent de l’immatériel, de la vitesse et de la désindustrialisation, Sekula mettait en exergue l’infrastructure logistique (containers, ports industriels) et humaine des échanges mondiaux. Dans ce texte issu de Ship of Fools / The Docker’s Museum, Steve Edwards revient sur la trajectoire esthétique de Sekula, en pointant une ambiguïté au coeur de sa démarche. Alors que certains essais de Sekula semblent confiner la réalité du capitalisme à celle du taylorisme et de la grande industrie, dans une autre partie de son travail, la plus stimulante aux yeux d’Edwards, Sekula est parvenu à inventer une « poétique du développement inégal », c’est-à-dire une représentation visuelle des espaces et des formes de travail hétérogènes du capitalisme tardif.

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Sekula est l’un des intellectuels marxistes les plus éminents de notre époque, qui, depuis la redoute apparemment marginale de la photographie, nous a appris à douter des nombreux mythèmes du capitalisme tardifi. La fin du travail et la disparition des classes ; la dématérialisation de la production ; l’abolition de la pauvreté et la « convergence » économique grâce aux mécanismes du marché ; une démocratie postcommuniste réalisée par la consommation ; le cosmopolitisme résultant de la communication instantanée et damant le pion à la politique internationaliste – autant de fantasmes que cette pratique démythifie. Par la diversité de ses activités, Sekula a cherché à imaginer les processus invisibles qui sont les moteurs de l’économie mondiale contemporaine1.

La géométrie du travail

Dans ces études critiques, Sekula conçoit la photographie comme une synecdoque du capitalisme. Dans les essais qui composent Écrits sur la photographie, l’appareil photo en tant que machine capitaliste est présenté comme le noyau autour duquel gravitent les idéologies de la photographie. Dans « Trafics dans la photographie » (1981), il écrit : « Par-dessus tout, la force idéologique de la photographie dans l’art de la société moderne repose sans doute sur le fait qu’elle semble réconcilier des énergies créatives humaines avec un processus de mécanisation mené scientifiquement : malgré la division moderne industrielle du travail et l’industrialisation du travail culturel, malgré l’obsolescence historique, la marginalisation et la dégradation des modes de représentation artisanaux et manuels, la catégorie à laquelle appartient l’artiste continuerait à vivre dans l’exercice d’une domination purement mentale et imaginaire dans l’appareil photographique2. »

Entre les mains de Sekula, l’histoire de la photographie consiste notamment à retrouver les traces de la subjectivisation romantique de l’appareil photo/machine et de son instrumentalisation antagoniste. La force de son approche provient de son refus de fixer le sens de la photographie en un point unique sur l’horizon sémantique qui va du plaisir optique à la vérité objective, du positivisme à la métaphysique, pour s’intéresser au contraire au mouvement et au processus, tout en refusant de faire de la polysémie une libération.

Dans « Le Corps et l’archive », essai fondamental publié en 1986, il semble dresser un tableau différent, centré sur les archives disciplinaires ou biopolitiques ; cependant, Sekula souligne qu’il a lu Michel Foucault à travers des études sur la transformation du travail au xxe siècle3. La manière dont Sekula rend compte du rôle joué par la photographie dans la discipline imposée au corps est enracinée dans une histoire du travail. Il paraît donc évident de partir de son brillant essai « Photography Between Labour and Capital » (1983). Cette étude majeure des représentations du travail et du capital est née de l’exploration des archives de Leslie Shedden, photographe commercial qui a passé vingt ans de sa vie (1948-1968) dans une ville minière canadienne à faire des photographies destinées aux mineurs et au service des relations publiques de l’entreprise minière. Ce faisant, Sekula suit l’évolution du « langage pictural du capitalisme industriel4 », depuis De re metallica, le traité sur les minerais d’Agricola (xvie siècle), jusqu’aux études sur le temps et le mouvement de Frank B. et Lillian M. Gilbreth, en passant par les planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Timothy H. O’Sullivan et les relevés géologiques, le travail de Nadar sous terre, et la politique réformatrice de Lewis Hine5. Sekula se sert de cette histoire afin de redéfinir la préhistoire de la photographie qui, selon lui, se situe dans les pratiques du « réalisme technique », du « réalisme fonctionnel » ou du « réalisme instrumental »6.

« Photography Between Labour and Capital » est un prolongement du regard que porte Sekula sur la photographie comme synecdoque de l’industrialisation capitaliste, cette fois sous l’influence de Harry Braverman, le grand théoricien du travail7. Ce texte s’intéresse particulièrement à la transformation des méthodes de travail dans l’industrie, connue sous le nom de fordisme-taylorisme. S’appuyant sur la pensée marxiste, Braverman affirme que l’analyse du travail par Taylor constitue avant tout une tentative de rompre avec le savoir-faire des artisans, ce qui a permis à des hommes expérimentés et souvent syndiqués de contrôler l’intensité et les processus de la production industrielle. Le taylorisme a donné naissance à une division du travail qui dissocie l’activité mentale (conception et planification du travail) de l’activité manuelle (fabrication ou exécution). L’objectif était de standardiser les pratiques de travail et de faire passer le contrôle de la tâche des mains de prolétaires possédant un savoir-faire à celles de gestionnaires et de techniciens. La machine a joué un rôle capital dans ce processus, non pas parce qu’elle augmentait nécessairement la productivité comme le prétendaient ses prophètes, mais parce que son fonctionnement était essentiellement prédéterminé et disciplinaire. De l’automatisation, introduite dans l’industrie automobile dans les années 1940, au contrôle numérique des machines mis au point par l’aviation militaire américaine, le pas a été vite franchi vers la mécanisation et la prolétarisation du travail de bureau décrites par Braverman et vers une situation dans laquelle la pause toilettes optimale pouvait être estimée à 1,62 minute8.

Le travail de Frank et Lillian Gilbreth occupe une place de premier plan dans l’analyse de Sekula lorsque celui-ci rend compte du rôle de la photographie dans le passage de la soumission de pure forme à la soumission réelle du travail au capital9. Ces disciples de Taylor ont utilisé les instruments d’enregistrement du mouvement mis au point par Étienne-Jules Marey et Eadweard Muybridge afin de les appliquer à la décomposition du geste du travail. Grâce à un éclairage et à un dispositif d’« automicromouvement », « les capacités propres de l’ouvrier10 » ont pu être représentées par la photographie sous la forme d’actions abstraites susceptibles d’être disséquées, reconstituées et subordonnées au contrôle gestionnaire et au régime du temps capitaliste11. Sekula en qualifie le résultat de « géométrie analytique du travail12 ».

Cette étude, la plus ambitieuse peut-être de Sekula avant Fish Story (1990-1995), a pourtant été singulièrement ignorée. Sa première partie, consacrée à la nature de l’archive, est souvent citée et reproduite, mais le corps de l’essai est négligé. Que les théoriciens ne sachent quoi faire de cette brillante étude associant histoire sociale, histoire du travail, études de cas, réflexions sur la photographie et théorie critique, paraît symptomatique. Le réalisme et le capitalisme sans travail ? Comment rendre compte de cette forme particulière de « cécité cognitive13 » ? Dynamique centrale de l’histoire intellectuelle récente, l’abandon de la notion de classe a pris des formes variables selon les modes, à tel point qu’on peut être tenté d’y voir une « épistémè14 ». Refusant de céder à ces modes, l’œuvre de Sekula ne s’éloigne jamais de la matrice des méthodes de travail capitalistes et de la photographie.

De même que ses autres essais, « Photography Between Labour and Capital » propose d’importantes pistes de recherche (dont peu sont empruntées). Toutefois ce texte, de mon point de vue, relève par trop du regard circulaire que pose la théorie critique sur la marchandise. Cette forme de raisonnement souffre d’un manque de différentiation, de spécificité ou de contradiction. Conformément à la méthodologie qui structure La Dialectique de la raison [de Theodor W. Adorno et Max Horkheimer] et L’Ornement de la masse [de Siegfried Kracauer], la photographie serait une homologie de la marchandise, de l’argent et de l’échange. Ces formes capitalistes se déploient de manière exponentielle et ne rencontrent aucune opposition visible. Sekula avait été particulièrement séduit par l’œuvre d’Alfred Sohn-Rethel, l’un des grands intellectuels ayant participé à l’analyse de la forme-valeur dans l’Allemagne de l’après-guerre et qui voyait en l’argent et la marchandise l’origine de la pensée abstraite15. Dans « Photography Between Labour and Capital », l’archive – « ensemble quantitatif d’images16 » – prend la forme d’un espace de rationalité et d’équivalence. L’usage, affirme-t-il par la même occasion, doit s’entendre comme l’usage par le capital : « La condition générale des archives suppose la subordination de l’usage à la logique de l’échange17. » Ce déplacement ou cette libération à l’égard des « contingences réelles de l’usage » sont censés mettre en jeu l’abstraction. À partir de ces prémisses, l’essai traite du « langage universel », de la naturalisation et de l’esthétique moderniste. C’est un texte d’une grande force qui, je crois, souligne les enjeux de l’étude – une analyse de la photographie fondée sur la forme-valeur –, mais avec le risque constant de procéder à une homogénéisation du capitalisme. Dans « Photography Between Labour and Capital », Sekula conçoit le capitalisme comme une production industrielle dans laquelle le travail représente le fruit d’une main-d’œuvre salariée et taylorisée. « Les principes généraux du taylorisme ont été institutionnalisés au sein de tous les secteurs industriels modernes18 », écrit-il. Même à l’apogée du fordisme, avant les processus qu’on appelle communément « accumulation flexible » et « production juste-à-temps », le taylorisme n’a à ses yeux jamais été si prégnant. Pareil point de vue confine une grande partie du monde à la marge du réseau capitaliste et laisse de côté le travail fourni par des millions de prolétaires, même en Occident.

Historiens et théoriciens remettent de plus en plus en question cette conception linéaire du développement et du changement. Selon eux, l’attention uniquement portée à la main-d’œuvre doublement libre laisse dans l’ombre la diversité des formes de travail courantes dans l’économie mondiale : la persistance de formes non salariées du travail, comme celui des employés de maison (y compris l’aide aux personnes âgées et la reproduction sociale), l’artisanat, le métayage, le travail saisonnier, les tâches non rémunérées, l’économie vivrière et le travail sexuel19. L’industrie à grande échelle n’est qu’un des nombreux modes de prolétarisation et de valorisation du capital. La clé pour comprendre les mécanismes du capitalisme ne réside pas dans l’industrie à grande échelle, mais dans ce que Jairus Banaji appelle les « lois du développement capitaliste20 », constellation composée d’accumulation concurrentielle, de marchandisation, de crédit, d’augmentation de la productivité de la main-d’œuvre et de monétisation. À sa manière, l’accent mis sur le travail salarié et l’usine contribue à l’abandon de la notion de classe. Si classe et travail sont liés au régime de l’usine, alors le déclin de la production à grande échelle dans les métropoles occidentales peut être considéré comme une nouvelle démonstration de l’adieu à la classe ouvrière et de l’invisibilité du capitalisme. Dans le même temps, et de façon antagonique, ce point de vue présente le capitalisme occidental comme une norme : moderne, développé et libéral21. Industrialisation et déréglementation apparaissent ainsi comme le salut du « sous-développé » ; s’établit alors un lien entre capitalisme et démocratie. Sekula ne pouvait accepter ce mirage idéologique.

« Bagage à main »

« Photography Between Labour and Capital » et sa conception du capital comme industrie à grande échelle ne représentent toutefois qu’une approche parmi d’autres du capitalisme selon Sekula, dont se font l’écho les diverses études critiques qu’il a signées. Mais il est utile de se remémorer ce qu’était peut-être son point de vue le plus caractéristique. Aerospace Folktales (1973) étudie le cas d’un ingénieur de l’industrie aérospatiale au chômage et de sa femme cantonnée au travail domestique : ces deux formes de condition prolétarienne – au-delà de la division sexuelle du travail – n’appartiennent pas au domaine des relations salariées. This Ain’t China (1974) s’intéresse aux employés de la restauration rapide (fabrication de pizzas) sous l’angle du « travail précaire » et des « contrats à zéro heure » dont il est de plus en plus question dans les débats actuels22 : hormis le style des coiffures, rien n’a changé depuis 1974. Shipwreck and Workers (2005-2007) présente toute une variété de formes de travail, y compris l’accouchement. The Forgotten Space jette la lumière sur les immigrés d’Asie orientale employés à bord de navires sous pavillon de complaisance, ou comme domestiques. Cette attention portée à l’inégalité des pratiques de travail en vigueur dans le système-monde capitaliste a pris de l’ampleur dans l’œuvre de Sekula, de Fish Story à la série de photographies Santos Sugar Gang de Ship of Fools. Une telle préoccupation fait de lui l’un des artistes les plus importants du capitalisme tardif, en ce qu’il a été capable d’élaborer un point de vue sur une modernité différenciée et néanmoins singulière23.

Une brève analyse d’une conception dominante du monde du travail, qui présuppose de s’abstraire des technologies les plus « avancées », va nous conduire au cœur de cette autre vision du capitalisme. Pour la pensée actuelle, le travail est censé être « immatériel » et ne mettre en jeu que claviers, subjectivité ou affect dans l’« économie du savoir ». Comme les processus informatisés et le secteur des services ne produisent pas de biens matériels ou durables, expliquent Hardt et Negri24, le travail requis est en apparence immatériel. Tandis que les ouvriers fordistes se comportaient comme des machines (les auteurs citent les photographies de Muybridge), nous penserions désormais comme des ordinateurs25. Voilà qui fait du travail abstrait une conséquence de la manipulation de l’information : l’ordinateur est « l’outil universel » ou « l’outil central, par l’intermédiaire de qui toutes les activités peuvent passer26 ». Selon Maurizio Lazzarato, cette production immatérielle comprend « la production audiovisuelle, la publicité, la mode, la conception de logiciels, les métiers de la culture, etc. Les activités relevant de cette forme de travail immatériel nous forcent à remettre en question les définitions classiques du travail et de la force de travail, car elles associent les résultats de différentes catégories de compétences : intellectuelles, en ce qui concerne le contenu culturel et informationnel ; manuelles pour la capacité à associer créativité, imagination, travail technique et manuel ; et entrepreneuriales dans la gestion des rapports sociaux et la structuration de la coopération sociale dont elles font partie27 ».

La photographie occupe une place de premier plan dans le schéma de Lazzarato ; pourtant, cet auteur est à des années-lumière de l’approche de Sekula. Le tableau que dressent les débats sur le travail immatériel et le nouveau capitalisme constitue l’antithèse du travail taylorisé : le travailleur nouveau est censé s’adapter, faire preuve de polyvalence, au lieu de réaliser des fonctions prédéterminées. Il n’effectue pas un travail de précision28. La réponse de Sekula à ce genre de mythification est sans appel : « pour les fonctionnaires qui servent les élites financières et techniques », cette économie est conçue comme un « bagage à main » : un ordinateur portable et un modem29. Sekula ne fait pas référence aux débats récents sur le travail immatériel – il pensait certainement aux notions antérieures de virtualité, d’hyperréalité et de société en réseau, liées à l’essor des télécommunications du milieu des années 1990 –, mais aux intellectuels des métropoles qui prenaient souvent, à tort, leurs propres conditions de vie pour celles de l’économie mondiale et tissaient une trame mystificatrice sans accroc. À ce fantasme d’une économie dématérialisée circulant à travers les ondes, Sekula oppose la matérialité en affirmant que l’immense majorité des marchandises transportées dans le monde le sont par cargos. Ce sont les marins et les ouvriers des ports qui font tourner l’économie mondiale. En prenant l’océan comme support, il relie le matériel et l’immatériel, la production et la consommation, la violence et la sécurité, la lutte pour la survie et la richesse. Les profits et les modes de vie de ceux (et ils sont nombreux) qui appartiennent aux économies du G8 dépendent du monde maritime et de la division internationale du travail permettant la consommation à bon marché. Fish Story cherche à combattre la « cécité cognitive » qui gomme la mer et les marins de la conscience populaire, et soutient, contre les prophètes « postmodernes » de « l’ère de l’information », que la matérialité même du transport maritime des marchandises est au cœur de la phase récente de la mondialisation30. La condition qui a permis l’émergence de cette économie n’est pas Internet, mais le transport par conteneurs, mis au point aux États-Unis à la fin des années 1950. David Wellman décrit ainsi la conteneurisation intermodale : « Le conteneur est une “boîte”, mesurant de vingt à quarante pieds de long31, pouvant contenir vingt-quatre tonnes de marchandises. La cargaison est chargée directement dans le conteneur et manipulée deux fois seulement : quand la boîte est remplie, puis vidée. Une fois la cargaison chargée, le conteneur se déplace successivement par camion, chemin de fer et bateau, puis à nouveau vers le camion32. »

La conteneurisation a massivement réduit les temps de chargement et de déchargement et provoqué la circulation accélérée des marchandises à travers les ports du monde. Elle a aussi bouleversé la maîtrise qu’avaient les dockers sur ce processus et réduit leur nombre, ce qui a permis aux « entreprises de chercher sans relâche une main-d’œuvre toujours moins chère » dans le monde entier33.

Sekula s’est toujours inspiré du savoir des militants ouvriers ; c’est auprès de son ami Stan Weir qu’il a appris la théorie de la mondialisation. Weir a joué un rôle de premier plan en contestant la maîtrise des méthodes de travail sur les quais, telle qu’elle a été établie par l’accord « Mécanisation et modernisation » de 1960, signé par l’ILWU (International Longshore and Warehouse Union [syndicat international des dockers34]). Fish Story, Lottery of the Sea et The Forgotten Space s’intéressent à ces boîtes métalliques, à leur rôle dans l’économie mondialisée, au « remplissage » et au « vidage » de ces « cercueils » d’un travail mort. Le regard de Sekula nous rappelle que ce sont des gens qui fabriquent et transportent les marchandises, avant qu’elles soient consommées (par d’autres gens). Pour cela, il faut de la force musculaire, des tendons sollicités et des efforts physiques, face à des masses et des forces qui résistent, et non pas tant au flux numérique qu’à la houle. Le capitalisme fluide vu par Sekula suppose des catégories spéciales de travailleurs, hommes et femmes, dont la force de travail est employée dans la circulation : transport par bateau et camion ; chargement et déchargement ; portage.

Proposons un contraste. Cette vision du labeur sans fin paraît faire écho aux Workers (1993) de Sebastião Salgado35 dont les photographies du travail dans le monde adoptent la forme classique du récit visuel. Des tisserands bangladais actionnent de séculaires métiers à tisser en bois et des ouvriers des mines d’or brésiliennes extraient des sacs de butin de l’enfer dantesque de la Serra Pelada. Une femme creuse un canal à coups de pioche ; un homme casse des navires, les mains dégoulinant de pétrole brut ; un autre, éclaboussé de sang, vide des thons. Charbon et minerais métalliques sont extraits de la terre avec des outils ordinaires et transportés dans des paniers d’osier et des sacs en toile de jute. Des bœufs déplacent de lourdes charges et des muscles humains soulèvent des montagnes. Ces formes rudimentaires de travail cohabitent avec l’ingénierie à grande échelle : le forage du tunnel sous la Manche, le contrôle informatisé des chemins de fer français. Oppositions simples : grandes équipes de travailleurs/individus isolés ; modernité technique/déclin de la communauté, collectivité/aliénation.

Salgado est souvent critiqué pour son point de vue humaniste et sa manière de montrer le travail pénible à travers les codes de l’iconographie chrétienne. Quoi qu’il en soit, on est tenté de relever un aspect plus important : sa pratique est sous-tendue par la thèse de la modernisation. Salgado se voit comme le poète d’un monde en train de disparaître, le Pindar du façonnage de la matière brute et le champion des cultures traditionnelles du travail. Ces pratiques laborieuses sont présentées comme des formes finissantes dans une économie mondiale censée converger vers le capitalisme « moderne ». La disparition de ce monde est, certes, objet de regrets, mais Workers laisse penser que le travail pénible des hommes est destiné à être remplacé par l’efficacité de la production mécanisée, mise en œuvre sur des lieux de travail réglementés par la loi et respectueux de l’environnement. Dans une excellente analyse du projet de Salgado, Julian Stallabrass pointe cette idéologie sous-jacente et estime que le néolibéralisme appauvrit encore les pauvres, au lieu de les enrichir. Dans sa conclusion, il avance que les « premier » et « tiers » mondes s’opposent dans un système économique mondial « reposant sur la force […], en contact permanent, mais dangereusement désunis. Ils vivent dans de nombreuses dimensions temporelles qui recouvrent les processus allant de la naissance de l’accumulation primitive capitaliste aux toutes dernières formes de désindustrialisation36. » À partir d’un livre de photographies, Stallabrass tente, avec beaucoup de perspicacité, de mettre en évidence l’inégalité structurelle à l’échelle mondiale.

Dans son film en vidéo consacré au marché aux poissons de Tsukiji à Tokyo (2001), Sekula dit à Benjamin H. D. Buchloh : « La pêche est la dernière activité humaine à grande échelle visant à se procurer de la nourriture en milieu sauvage, ce qui la relie à des pratiques non seulement préindustrielles, mais aussi préagricoles. En même temps, l’industrialisation des méthodes halieutiques – palangre, chalutage, traitement et emballage du poisson à bord – a transformé la pêche en une industrie d’extraction omnivore, semblable à l’exploitation minière à ciel ouvert. Le marché de Tsukiji est lui-même le carrefour d’un système de distribution aux ramifications mondiales qui dépend presque entièrement du transport frigorifié aérien37. »

Cet extrait semble faire écho aux « nombreuses dimensions temporelles » décelées chez Salgado par Stallabrass. Cependant, une distinction majeure s’impose car une conception différente du temps est ici en jeu. On reconnaît souvent à Sekula son attention portée à l’espace, mais, pour cet artiste, la géographie possède aussi une dimension temporelle. Si Salgado entremêle des images du travail de haute technologie et de tâches pénibles, c’est pour mettre en scène le contraste entre les deux et présenter une vision de l’humanité universelle, en présumant l’existence d’une périodisation inflexible de l’« ère industrielle », un commencement et un point d’arrivée. La vision différenciée de Sekula consiste à prélever une tranche – comme le spécimen de poisson au début de Lottery of the Sea – de la réalité de l’économie mondiale. Les formes de travail que Salgado ou Sekula, dans un autre registre, représentent ne sont ni archaïques ni précapitalistes ; elles prolifèrent au lieu de décliner.

Tels sont les éléments se distinguant par un écart différentiel de modernité dans la division globalisée du travail qu’est l’économie mondiale capitaliste. Pour chaque travailleur assis devant un ordinateur, un autre (et même beaucoup d’autres) manie la pelle ou porte un sac sur son dos38. Charger du sucre dans un port brésilien à l’aide d’un outil aussi peu sophistiqué qu’un treuil ou vider un poisson avec un simple couteau sont des gestes contemporains de ceux des presse-bouton des industries hi-tech. Et ils mobilisent tout autant les affects39. Sekula s’est souvent intéressé aux mains pour exprimer une « théorie laborieuse de la culture », mais, plus récemment, afin peut-être de mettre en évidence l’envers du travail « immatériel », il a porté son attention au dos humain (autre synecdoque). La sixième et dernière photographie de la séquence Santos Sugar Gang de Ship of Fools, en particulier, oriente notre regard sur le dos de l’homme au travail : c’est un dos doré, large, luisant et tendu ; image exemplaire de la masculinité, objet de désir. Il semble pourtant animé d’un mouvement de spirale centrifuge au point d’engloutir l’image, les sacs entreposés dans la cale reproduisant la forme de l’arrimage. La colonne vertébrale occupe une place prépondérante dans The Dockers’ Museum, ensemble souvent accompagné par cette image ou par Working (Santos). On pourrait même dire que cet objet est l’arbre ou l’axe qui sert de pivot à cette exposition ; une meilleure catachrèse serait peut-être celle du « dos » qui, dans un livre, relie l’ensemble des pages. Ce dos est à la fois un monument en hommage au travail manuel et l’enregistrement d’un dommage physique. La proximité de la colonne vertébrale et de la photographie, dont les axes visuels se recoupent au musée Maumaus de Lisbonne, suggère que le dos solide visible sur la photographie est, en réalité, fragile et vulnérable. Si la culture du cappuccino ou l’obésité caractéristiques de l’Occident sont possibles, c’est grâce à ce dos.

Diptyques, triptyques et ficelles narratives (pour L. D. Trotski)

On lit parfois que Sekula ne serait pas un grand créateur d’images, qu’il n’aurait rien d’un Salgado. C’est passer à côté de son entreprise. Il a tenté de donner une forme visuelle aux catégories sociales du monde contemporain dans leur diversité et leurs liens. Depuis 1973, nous sommes témoins d’une nouvelle phase de l’emprise du capitalisme inégal : chute des bénéfices et offensive contre la classe ouvrière, privatisation des prestations sociales, fuite des capitaux et désindustrialisation, fort endettement du « noyau » capitaliste, et développement de la production faiblement rémunérée dans les zones franches industrielles et les maquiladoras. Telle est la nouvelle géographie du capitalisme qui spatialise la production et la consommation. Pour Neil Smith, le cœur du monstre comprend au xxie siècle l’Europe, l’Amérique du Nord, le Japon et l’Océanie (mais il exclut Harlem et la banlieue parisienne), sans oublier les « centres subalternes du pouvoir » : Mexico, Mumbai, Shanghai et Le Caire40. Il faudrait aujourd’hui y ajouter les BRIC et distinguer les États phares de l’Union européenne de ceux qu’on appelle les PIGS41. Il s’agit là d’une géographie du développement inégal et combiné, décrit pour la première fois par Léon Trotski42. Trotski concevait l’économie mondiale comme inégale, mais combinée, c’est-à-dire composée d’économies nationales et régionales se situant à différents stades de « développement », tout en appartenant à une totalité (sous l’hégémonie économique et militaire des puissances impérialistes). Il ne s’agit pas d’un « espace lisse43 », mais d’une structure de pouvoir hiérarchisée. Les sujets photographiés par Sekula ne sont guère armés pour comprendre cette situation, mais ses grandes œuvres photographiques et cinématographiques sont des explorations délibérées du capitalisme moderne, envisagé à partir du développement inégal et combiné.

Pour un artiste, le problème est de savoir quelle forme donner à cette géographie politique. À partir de Fish Story, cela devient la préoccupation essentielle de Sekula, artiste du « chronotope », pour reprendre la terminologie de Mikhaïl Bakhtine. Le théoricien russe s’intéressait à la manière dont différents lieux ont façonné l’histoire du roman : la route, la place publique, la ville de province et le salon configurent des possibilités particulières du récit. L’espace est, selon Bakhtine, présent au sein des personnages : « Dans le chronotope de l’art littéraire a lieu la fusion des indices spatiaux et temporels en un tout intelligible et concret. Ici, le temps se condense, devient compact, visible pour l’art, tandis que l’espace s’intensifie, s’engouffre dans le mouvement du temps, du sujet, de l’Histoire. […] Cette intersection des séries et cette fusion des indices caractérisent, précisément, le chronotope de l’art littéraire44. »

La photographie (comme le cinéma) est nécessairement chronotopique : elle configure un instant particulier et un lieu spécifique. Les théoriciens de la photographie comme art de l’index ont souligné la forme singulière de temporalité qui sous-tend la photographie, le paradoxe de l’avant et du maintenant, mais l’équivalent s’appliquant à l’espace est fort peu étudié ; nous devons parler d’un paradoxe du même ordre, du là-bas et de l’ici45.

Il serait possible d’élaborer une morphologie des pratiques photographiques à partir de la manière dont les photographes travaillent à chaque extrémité de la configuration chronotopique : tandis que le photojournalisme privilégie l’instant comme « actualité », l’art photographique met en valeur l’espace. En d’autres termes, les formalistes de la photographie – Stieglitz, Ansel Adams, Minor White, le Siskind de la dernière période – s’intéressent avant tout au cadre comme une découpe de l’espace, afin de configurer un temps transcendant qui sépare la photographie de l’histoire dans une quête de l’infini46. Contrairement à ces deux options, Sekula pratique le chronotope comme forme culturelle ou comme poétique du développement inégal et combiné.

Évitant le cadrage transcendantal, son œuvre met plutôt en avant les gens, les objets et les espaces. Sekula nous propose des détails, des fragments et des singularités dont il fait des réseaux ou des chaînes de contiguïtés qui donnent de l’épaisseur au sens. De nombreux modèles illustrent ce qu’il a essayé de mettre en place – du livre de photographies à Chris Marker –, mais la référence essentielle demeure probablement Moby Dick. L’extraordinaire roman de Melville, avec ses changements de modes narratifs, sa méthode additive et sa forme allégorique, a servi à Sekula de matrice pour imaginer le monde aquatique. Fish Story – titre lui-même tiré du roman – est un Moby Dick revisité à travers le montage moderniste et le développement inégal et combiné ; la quête de la baleine blanche est remplacée par celle de l’accumulation capitaliste. Les montages réalisés par Sekula – ses diptyques et triptyques, ses enchaînements narratifs – établissent les relations et contradictions spatiales de ce processus qui se déploie dans un temps simultané.

Le chronotope de Sekula est la mer ou l’espace maritime. Il inverse nos perceptions habituelles. Normalement, la mer commence pour nous à la limite des masses continentales ; c’est là le point de vue de l’État-nation. L’inversion de la figure et de son arrière-plan effectuée par Sekula place la mer au centre de l’image, entourée d’une ribambelle de ports et de plateformes multimodales qui irriguent les territoires nationaux. Dans Freeway to China (Version 2, for Liverpool) (1998-1999), il écrit : « Aujourd’hui, le rapport entre la mer et la terre est de plus en plus le contraire de ce qu’il était au xixe siècle. Les lieux de production acquièrent de la mobilité, alors que les canaux de distribution se figent et deviennent routiniers47. » L’établissement de relations grâce à l’appareil photo, en utilisant comme support la mer, la main-d’œuvre portuaire et le transport par conteneurs, met en lumière la nature inégale et destructrice du capitalisme à l’échelle mondiale. Il s’agit aussi de répondre à une mission cruciale du réalisme qui consiste à révéler de nouveaux personnages absents des médias néolibéraux, parmi lesquels des ouvriers des chantiers navals polonais au chômage ; des dockers de Liverpool en grève ; Luisa Gratz, présidente la section locale no 26 de l’ILWU [de Los Angeles], qui « défend avec son franc-parler les intérêts des dockers48 » ; des marins philippins et leurs homologues à terre, les employées de maison ; un pêcheur coréen devenu ouvrier des chantiers navals ; une femme expert maritime à Seattle ; des femmes d’un marché aux poissons à la fin de la criée quotidienne au Portugal, ou « Pancake », ancien ouvrier sableur des chantiers navals, qui récupère le cuivre sur les quais de San Francisco. Tous sont des figures chronotopiques au sens où Bakhtine envisage les personnages spatialisés ; ils incarnent la contemporanéité inégale et combinée.

On pourrait donner de nombreux exemples de la vision chronotopique de Sekula. Dans Fish Story, un chantier naval appartenant à Hyundai jouxte un village de pêcheurs. Freeway to China (Version 2, for Liverpool) suit le parcours des conteneurs qui vont et viennent de Chine, avec, à une extrémité de la chaîne, le chômage à Liverpool et à Los Angeles et, à l’autre, une main-d’œuvre sous-payée. Dans un exemple particulièrement éloquent, Dead Letter Office (1996-1997) nous propose un diptyque : « Décor de la Twentieth Century-Fox pour le film Titanic et pêcheurs de moules, Popotla49 ». Sur la photographie de gauche, on voit un grand amas de terre, une large piste et, derrière un mur de béton, des grues et un paquebot du début du xxe siècle. Il s’agit d’une image du décor du film Titanic. L’autre photographie montre un homme pieds nus et une femme assise en train de faire griller du poisson, à côté d’une cabane faite de bric et de broc, parmi d’autres abris du même genre, et, derrière eux, les vagues et l’océan. À vingt minutes seulement de San Diego, c’est le village mexicain de Popotla, situé tout près des studios Fox au Mexique (Fox Baja Studios). Ce qui relie ces images, ce sont la terre et les signes de construction. Mais elles expriment aussi un changement de point de vue.

L’un des films les plus chers de l’histoire du cinéma (en raison de la construction d’un gigantesque bassin pour contrôler l’effet des marées) nuit à une population de pêcheurs pauvres. Avec la complicité des autorités et de la police locale, l’édification du mur de ce bassin a isolé le village de la zone fédérale50 située le long du littoral ; des engins de terrassement ont enseveli les bateaux de pêche (avec leurs moteurs) ; les responsables du studio ont utilisé des explosifs sous-marins et détruit la vie marine sur des kilomètres : champs de goémon, ormeaux, oursins, homards et toute une variété d’espèces de poissons. Alors que la procédure administrative d’attribution d’une concession est très longue, les studios Fox ont acquis la leur en quelques semaines seulement. L’obtention des permis de construire, qui aurait été infiniment retardée au nord de la frontière, a été réglée en deux jours, avec le report des études d’impact écologique jusqu’après l’achèvement des travaux. Lorsque les habitants du village ont prélevé des échantillons destinés à être analysés, du chlore, des solvants et des excréments humains ont été trouvés en forte concentration, ce qui n’a rien d’étonnant puisque le bassin du Titanic était vidé dans la mer plusieurs fois par semaine51.

S’en est suivie une catastrophe écologique et c’est là toute la question : il a suffi de déplacer le tournage de ce film à quelques dizaines de kilomètres au sud de la frontière américano-mexicaine pour contourner la réglementation en matière d’environnement et bâtir ce décor fantasmagorique. C’est l’équivalent culturel de la maquiladora. Sekula nous montre le contraste entre un monde onirique fortement capitalisé, dans lequel un homme pauvre meurt dans des eaux glaciales (la jeune femme riche échappera à la noyade), et la réalité quotidienne de ceux qui survivent tout juste grâce à la mer. À travers le temps, un désastre maritime est mis en opposition avec une petite catastrophe. Voici comment Sekula définit cette opposition : « La frontière septentrionale industrialisée du Mexique est le prototype d’un sinistre avenir tayloriste. Remis à flot, le Titanic est le présage tardif de la chaîne de montage qui s’emballe. Une réserve de main-d’œuvre bon marché est contenue et canalisée dans le mouvement hydraulique d’une machine de ségrégation. Cette machine ignore de plus en plus la démocratie de part et d’autre de la frontière, mais pas la culture, ni le déversement de pétrole dans des eaux troubles52. »

Tandis que les intellectuels des grandes métropoles fantasment sur le capitalisme cognitif, le travail immatériel et la fin des classes, Sekula nous ramène à un taylorisme désormais spatialisé, fugitif, prêt à tout.

Initialement paru dans Allan Sekula, Ship of Fools / The Docker’s Museum, ed. Hilde Van Gelder, Rennes, Frac Bretagne, La Criée, 2015. Publié avec l’aimable autorisation de l’éditeur (Criée et Frac Bretagne). L’équipe de Période tient à particulièrement remercier Alice Kaplan.

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  1. J’adresse mes remerciements à Jamie Allinson, Jairus Banaji, Neil Davidson, Gail Day et Alberto Toscano. Hilde Van Gelder et Jürgen Bock ont réalisé cet ouvrage avec soin et dévouement. J’exprime en particulier ma gratitude à Sally Stein. []
  2. Allan Sekula, « Trafics dans la photographie », trad. de l’anglais par Marie Muracciole, dans Allan Sekula, Écrits sur la photographie, éd. Marie Muracciole, Paris, Beaux-Arts de Paris édition, 2013, p. 185. C’est l’auteur qui souligne. []
  3. Il déclarait avoir lu Foucault par le biais de l’étude de Harry Braverman sur le travail, Labor and Monopoly Capitalism: The Degradation of Work in the Twentieth Century [1974], New York, Monthly Review Press, 1998 (voir A. Sekula, Performance under Working Conditions, Vienne, Generali Foundation, 2003, p. 45). []
  4. Allan Sekula, « Photography Between Labour and Capital », dans Benjamin H. D. Buchloh et Robert Wilkie (dir.), Mining Photographs and Other Pictures: A Selection from the Negative Archives of Shedden Studio, Glace Bay, Cape Breton, 1948-1968, Halifax, The Press of Nova Scotia College of Art and Design, 1983, p. 249. []
  5. Je suppose qu’il se situe ici en opposition au livre de Peter Galassi, Before Photography: Painting and the Invention of Photography, New York, Museum of Modern Art, 1981. []
  6. Allan Sekula, « Photography Between Labour and Capital », art. cité, p. 203, 234, 201 et 215 ; et Écrits sur la photographie, op. cit., p. 186. Tout cet essai est marqué par un point de vue radicalement opposé au romantisme, à l’imaginaire et au réalisme sentimental de la photographie du ménage. []
  7. Voir Harry Braverman, op. cit. Voir aussi David F. Noble, America by Design: Science, Technology and the Rise of Corporate Capitalism, New York, Knopf, 1977. []
  8. Voir aussi Mike Cooley, Architect or Bee: The Human Price of Technology, éd. révisée, Londres, The Hogarth Press, 1987, p. 33. []
  9. Voir Karl Marx, « Résultats du procès de production immédiat », publié in Karl Marx, Le Chapitre VI, Manuscrits de 1863-1867, Le Capital, Livre I, Paris, Éditions sociales, GEME, 2010. []
  10. Allan Sekula, « Photography Between Labour and Capital », art. cité, p. 247. []
  11. Braverman avait remarqué le rôle de la photographie dans ce processus : « Dans l’étude sur le temps et le mouvement [des Gilbreth], les mouvements élémentaires étaient visualisés comme les composants de toute activité » (H. Braverman, op. cit., p. 173). []
  12. Allan Sekula, « Photography Between Labour and Capital », art. cité, p. 246. []
  13. Citons les exceptions que constituent Hilde Van Gelder, « “Social Realism” Then and Now. Constantin Meunier and Allan Sekula », dans H. Van Gelder (dir.), Constantin Meunier. A Dialogue with Allan Sekula, Louvain, Leuven University Press, 2005, p. 71-91 ; et Katarzyna Ruchel-Stockmans, « Loops of History: Allan Sekula and the Representation of Labor », dans Jan Baetens et Hilde Van Gelder (dir.), Critical Realism in Contemporary Art: Around Allan Sekula’s Photography, Louvain, Leuven University Press, 2006, p. 28-39. Voir aussi Jack (John Kuo Wei) Tchen, « Interview With Allan Sekula: Los Angeles, California, October 26, 2002 », International Labour and Working Class History, no 66, automne 2004, p. 155-172. []
  14. Voir Ellen Meiksins Wood, The Retreat from Class: The New “True” Socialism, Londres, Verso, 1986. Sekula rejetait cette trahison des clercs. [En français dans le texte. NdT] []
  15. Voir Alfred Sohn-Rethel, Intellectual and Manual Labour, Londres, MacMillan, 1978. Ce n’est pas le seul essai dans lequel Sekula cite Sohn-Rethel et l’analyse de la marchandise. Voir aussi Allan Sekula, Écrits sur la photographie, op. cit., p. 216. Je montrerai qu’une conception différente, fondée sur le développement inégal et combiné, est présente dans d’autres textes de l’artiste, mais on ne peut nier que l’analyse de la marchandise parcourt toute son œuvre. Par exemple, Lottery of the Sea se déploie à partir de l’Agora et de ceux qui aiment/craignent les marchés. []
  16. Allan Sekula, « Photography Between Labour and Capital », art. cité, p. 194. []
  17. Cependant, page 235 du même essai, il reconnaît que « les socialistes et les syndicalistes » ont donné à de nombreuses images une nouvelle fonction. []
  18. Allan Sekula, « Photography Between Labour and Capital », art. cité, p. 240. []
  19. On dit que la force de travail commercialisée est doublement libre quand le salarié est a) séparé des moyens de production et donc libre de mourir de faim, et b) libre de conclure des contrats commerciaux pour négocier sa force de travail. []
  20. Voir Jairus Banaji, Theory as History: Essays on Modes of Production and Exploitation, Leyde, Brill, 2010, p. 58-61. []
  21. On prend aujourd’hui de plus en plus conscience que, dans les années 1860, Marx a révisé son jugement selon lequel « le pays le plus développé industriellement ne fait que montrer à ceux qui le suivent sur l’échelle industrielle l’image de leur propre avenir » (voir Karl Marx, « Préface à la première édition allemande », dans Le Capital, livre premier, trad. Joseph Roy, Paris, Éditions sociales, 1971, p. 3 [17]). Voir aussi, par exemple, Kevin B. Anderson, Marx aux antipodes. Nations, ethnicité et sociétés non occidentales, Paris, Éditions Syllepse, 2015. []
  22. Actuellement en usage au Royaume-Uni, le « contrat à zéro heure » n’impose pas à l’employeur de définir à l’avance le nombre d’heures à effectuer par l’employé et place ce dernier dans une situation où l’employeur peut faire appel à lui ou elle à la demande et sans préavis. [NdT] []
  23. Voir Fredric Jameson, Singular Modernity, Londres, Verso, 2002. []
  24. Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, trad. de l’anglais par Denis-Armand Canal, Paris, Éditions Exils, 2000. []
  25. On trouvera une réplique d’importance à ce point de vue dans Nick Dyer-Witherford, « Cyber-Negri: General Intellect and Immaterial Labour », dans Timothy S. Murphy (dir.), The Philosophy of Antonio Negri, Londres, Pluto Press, 2005, p. 36-162. []
  26. Michael Hardt et Antonio Negri, op. cit., p. 357. []
  27. Maurizio Lazzarato, « Immaterial Labor », dans Paolo Virno et Michael Hardt (dir.), Radical Thought in Italy: A Potential Politics, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1996, p. 137. C’est l’auteur qui souligne. []
  28. Allan Sekula, « Photography Between Labour and Capital », art. cité, p. 194. Sekula suit ici Marx à propos de la division du travail, quand il qualifie les photographes de « travailleurs de précision ». []
  29. Allan Sekula, « On “Fish Story”: The Coffin Learns to Dance », Camera Austria International, no 59/60, 1997, p. 53. Voir aussi A. Sekula, Fish Story, op. cit., p. 50, et A. Sekula, Performance under Working Conditions, op. cit., p. 297. Voir Robert Brenner, « The Economics of Global Turbulence », New Left Review, no 229, mai-juin 1998, p. 248, dont le point de vue sur le capital social informatique va dans le même sens. []
  30. Allan Sekula, Fish Story, op. cit., p. 54. []
  31. Soit de six à douze mètres de long. Nous avons conservé ici les mesures en pieds, couramment employées dans le domaine des transports pour désigner les conteneurs, y compris dans les pays adeptes du système métrique. [NdT] []
  32. David Wellman, The Union Makes Us Strong: Radical Unionism on the San Francisco Waterfront, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 12. []
  33. Allan Sekula, Fish Story, op. cit., p. 49. []
  34. Avec d’autres opposants à la conteneurisation, Weir avait été évincé des ports californiens. Voir Stan Weir, Single Jack Solidarity, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2004. Pour un point de vue radicalement différent, voir David Wellman, op. cit. []
  35. Ouvrage paru en français sous le titre La Main de l’homme (Paris, Éditions de La Martinière/Plon, 1993). [NdT] []
  36. Julian Stallabrass, « Sebastião Salgado and Fine Art Photojournalism », New Left Review, I/223, mai-juin 1997, p. 160. []
  37. Allan Sekula, Performance under Working Conditions, Vienne, Generali Foundation, 2003, p. 49. []
  38. Ce point de vue est développé avec force dans les recherches de géographes marxistes. Voir Neil Smith, Uneven Development: Nature, Capital and the Production of Space [1984], Londres, Verso, 2010, et Doreen Massey, Spatial Divisions of Labour: Social Structures and the Geography of Production, Londres, Macmillan, 1984. []
  39. Pour une analyse précise du savoir-faire et de la prévisualisation en jeu dans le chargement d’une cale, voir David Wellman, op. cit. []
  40. Neil Smith, op. cit., p. 240. []
  41. BRIC et PIGS sont des acronymes anglais désignant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, d’une part, le Portugal, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne, d’autre part. [NdT] []
  42. Trotski a conçu la théorie du développement inégal et combiné dans plusieurs études, mais l’œuvre clé en la matière est Bilan et perspectives [1906], trad. de l’anglais par Gérard Bloch, Paris, Éditions de Minuit, 1974. []
  43. Michael Hardt et Antonio Negri, op. cit., p. 239. []
  44. Mikhaïl Bakhtine, « Formes du temps et du chronotope dans le roman » [1937], dans Esthétique et théorie du roman, trad. du russe par Daria Olivier, Paris, Gallimard, 1978, p. 237-238. []
  45. Voir Rosalind Krauss, « Notes on the Index: Seventies Art in America », October, no 3, 1977, p. 68-81 ; « Stieglitz/Equivalents », October, no 11, 1979, p. 129-140 ; Hubert Damisch, « Cinq notes pour une phénoménologie de l’image photographique », L’Arc, no 21, printemps 1963, p. 34-39 ; Thierry de Duve, « Time, Exposure and Snapshot: The Photograph as Paradox », October, no 5, 1978, p. 113-125 ; Georges Didi-Huberman, « L’Indice de la plaie absente, Monographie d’une tache », Traverses, no 30-31, « Le secret », mars 1984, p. 151-163. []
  46. Krauss saisit quelque chose de cette métaphysique du cadre dans « Stieglitz/ Equivalents », art. cité. []
  47. Allan Sekula, Performance under Working Conditions, op. cit., p. 279. []
  48. Ibid., p. 291. []
  49. Allan Sekula, Dead Letter Office, Rotterdam, Nederlands Foto Instituut, 1997, p. 18-19. []
  50. Directement administrée par l’État fédéral mexicain, la Zona Federal Marítimo Terrestre de l’État de Basse-Californie relève en principe du domaine public et garantit l’accès libre au littoral. Aucun terrain de la zone ne peut être vendu à un propriétaire privé sans autorisation spéciale (sous forme de concession). [NdT] []
  51. On trouvera une déclaration écrite de Fernando Larios Zepeda, porte-parole de l’association des pêcheurs de Popotla, sur le site www.rtmark.com/popotlaaustria.html (consulté le 15 septembre 2014). Plusieurs artistes du monde entier ont décoré le mur de scènes maritimes. []
  52. Allan Sekula, Dead Letter Office, op. cit., p. 32. []
Steve Edwards