Au-delà de « l’écosocialisme » : une théorie des crises dans l’écologie-monde capitaliste

Wall Street produit et organise la nature. Si la théorie sociale cherche aujourd’hui à s’amender en tenant compte des enjeux environnementaux, elle dépasse rarement le dualisme typiquement moderne de la Nature et de la Société. Dialoguant avec les théoriciens de l’écosocialisme d’une part et des penseurs critiques tels que Harvey et Arrighi d’autre part, Jason W. Moore formule ici l’hypothèse que le capitalisme n’est pas seulement une économie-monde mais également une écologie-monde.

Une nouvelle interprétation du Capital

Dans cette intervention, Fredric Jameson se propose de lire le Livre I du Capital de Marx comme un véritable récit. Face aux énigmes de la production capitaliste, une enquête minutieuse fait apparaître une série de solutions, qui débouchent toutes sur un nouveau problème. Comme souvent chez Jameson, dialectique et narration se rencontrent et se fécondent mutuellement. La conséquence de cet examen est de repenser la radicalité du Capital à partir de ses élans utopiques et de sa soustraction à la politique au sens étroit du terme. Contre toute réconciliation dans l’Utopie, le communisme du Capital est « l’inimaginable accomplissement d’une alternative radicale dont on ne saurait pas même rêver ».

La dialectique de la dépendance

Le capitalisme ne s’est jamais développé de façon uniforme : on sait que l’économie mondiale a présenté une tendance à se diviser entre un « centre » et une « périphérie ». Ruy Mauro Marini, dans ce texte classique de 1972, présente les arguments du versant anticapitaliste de la théorie de la dépendance. Pour cet auteur, comprendre le sous-développement latino-américain implique de réaliser que l’intégration au capitalisme s’y est faite à partir d’un désavantage productif structurel. Pour compenser ce désavantage, les bourgeoisies subalternes ont surexploité les travailleurs locaux, structurant sur le très long terme leurs économies. Les conséquences du développement inégal à l’échelle mondiale sont ici périodisées, et rendent compte de la profonde polarisation des classes et du caractère explosif des contradictions de l’industrialisation dépendante.

Sur le théâtre populaire en Amérique latine. Entretien avec Augusto Boal

Si le « théâtre forum » est aujourd’hui une pratique largement connue, investie pour tous types d’objectifs, militants, associatifs, voire récupérée par certaines pratiques managériales, son inventeur, Augusto Boal, était un militant révolutionnaire. Dans l’entretien à venir, issue d’un chapitre inédit de Jeux pour acteurs et non-acteurs, Boal revient sur la trajectoire du théâtre populaire et révolutionnaire en Amérique latine, ainsi que ses liens avec les procédés et méthodes d’avant-garde ou européennes. Il défend une figure de l’artiste comme entité collective, non spécialisée, capable de s’adapter aux réalités sociales et d’inventer les procédés d’un théâtre émancipé.

Brûler, habiter, penser. À propos de À nos amis du Comité Invisible

Dans À nos amis, le Comité invisible a tenté de produire un diagnostic global sur les traits marquants de « l’époque », c’est-à-dire sur les formes inédites de pouvoir qui structurent notre monde, les impasses des mouvements sociaux contemporains, la nécessité de briser la machine sociale. Pour Alberto Toscano, ce diagnostic souffre d’une faiblesse majeure : il repose sur une métaphysique de la « vie » qui enferme la réflexion du Comité invisible dans une éthique et empêche d’examiner à fond les perspectives ouvertes par le texte.

Repenser l’oppression des femmes

L’oppression des femmes pourrait n’être ni le résultat du « patriarcat » ni dans l’intérêt fondamental du capitalisme. C’est le présupposé qu’avancent Brenner et Ramas, ainsi que la cible de leur puissante critique, Michèle Barrett. Pour cette dernière, l’oppression des femmes est le produit d’une idéologie bourgeoise, façonnant la subjectivité des classes populaires et favorisant la division salariale entre hommes et femmes. Pour Brenner et Ramas, cette explication ne tient pas la route. Mais il faut faire un détour pour expliquer l’oppression des femmes : comprendre comment la reproduction biologique et le travail industriel ont dégradé le rapport de force entre hommes et femmes au bénéfice des premiers. Le défi théorique de l’oppression des femmes nécessite une réponse dialectique, aux antipodes du fonctionnalisme. Une telle approche permet d’identifier l’État-providence et le combat pour la socialisation du soin aux personnes dépendantes comme le nœud du problème et, dès lors, du combat féministe.

Brecht et la politique du cinéma réflexif

Le cinéma doit-il bouleverser les formes pour être émancipateur ? C’est la question que posait Dana B. Polan en réaction à une vague de critique cinéma inspirée par le marxisme qui faisait renaître les partis pris modernistes au nom de la subversion radicale. Polan prend pour cible une série d’auteurs canoniques de cette vague de critique radicale en cinéma (Burch, Baudry, Oudart…) et en littérature (Tel Quel) pour en montrer les limites et, en dernière instance, le formalisme. L’auteur s’empare du fait que cet éloge de la subversion formelle se réclame de Brecht pour opposer sa propre lecture du dramaturge communiste. Publiée pour la première fois en 1974, cette polémique nous donne les termes d’une importante discorde autour du cinéma militant et expérimental et fournit quelques éléments pour continuer de penser les matériaux et la fonction des formes esthétiques.

Philosophie et révolution. Althusser sans le théoricisme : entretien avec G. M. Goshgarian

Beaucoup n’ont retenu d’Althusser que deux images d’Épinal : celle d’un penseur abstrait attaché à une « Science » détachée des luttes de classes ou celle du « dernier Althusser » postmoderne voire mysticiste. Ce sont là des lecteurs pressés, comme nous le montre ici G. M. Goshgarian, spécialiste international de l’œuvre d’Althusser. Pour Goshgarian, les textes et leur chronologie y révèlent une constante : la centralité de la dictature du prolétariat. Ainsi, il faut relire tout ce corpus à l’aune des anni mirabiles de 1976-1978, celles où Althusser donne cohérence à une « nouvelle pratique de la philosophie » qui démasque les philosophies traditionnelles – philosophies d’État – et repense le marxisme comme « science de cette rencontre toujours aléatoire qu’est la lutte des classes ». Véritable tour d’horizon de la production althussérienne, cet entretien invite en outre à lire Être marxiste en philosophie, ouvrage inédit et majeur à paraître le 18 mars 2015.

Tendance Karl. Autour d’une tentative romanesque de Marx

Karl Marx a tenté, dans sa jeunesse, d’écrire un roman, intitulé Scorpion et Félix. Il est notoire que les tentatives littéraires de Marx étaient plutôt médiocres, mais ce morceau de roman est révélateur d’une tendance rarement évoquée chez l’auteur du Capital. De sa jeunesse à sa maturité, Marx a été fasciné par la référentialité littéraire, dont il a abreuvé ses œuvres théoriques. Proche du poète et chroniqueur de la gauche hégélienne Heinrich Heine, et bien qu’admirateur de Balzac, Marx est à mille lieues de cette passion exclusive pour le « réalisme » romanesque qu’on a voulu lui prêter. Dans cette introduction à Scorpion et Félix (inédit jusqu’en 1929), Gabriele Pedullà nous fait découvrir un Marx « qui – disons-le clairement – parmi les communistes [des années 1930] n’aurait pu plaire qu’à André Breton et aux surréalistes. »

Des subalternes au pouvoir. Autour de la vague progressiste en Amérique latine

Quelques décennies après l’explosion académique des « études subalternes », plusieurs États latino-américains ont vu l’ascension au pouvoir politique de forces issues des classes et couches subalternes. D’après Robert Cavooris, ces épisodes révolutionnaires ont révélé les limites profondes du paradigme subalterniste. En effet, les hypothèses de ces courants théoriques reposent sur une lecture dualiste entre « subalternes » et « élites », entre multitudes et État. Que se passe-t-il quand les subalternes s’emparent (au moins en partie) de l’État ? Pour mieux saisir ces processus, Cavooris oppose aux subalternistes l’apport théorique de Nicos Poulantzas. Comprendre ce que font les subalternes dans l’État, c’est comprendre comment et dans quelle mesure l’État est transformable, traversé par des contradictions, et comment les subalternes travaillent ce terrrain pour leur propre compte.