Le processus de production de film

Le cinéma militant des années 1970 est souvent réduit à l’accompagnement et au soutien aux luttes. Pourtant, différents collectifs ont tenté de dépasser cette démarche. Parmi eux, Cinéthique, revue et collectif de réalisation d’orientation marxiste-léniniste, refusait tant l’approche « cinéphilique » des Cahiers du cinéma que la prise de parole directe des luttes. Ce texte de Jean-Paul Fargier, issu de la revue, met davantage l’accent sur l’articulation, dans certains films « minoritaires » entre le « travail du film » et celui du spectateur. Dans « Le processus de production du film », Jean-Paul Fargier reprend les outils théoriques de Louis Althusser, d’Alain Badiou ou de Pierre Macherey pour proposer une analyse du rapport entre le procès de production du film et la réception du spectateur. Le cinéma ne saurait se réduire à l’idéologie, c’est-à-dire à sa matière première. Fargier nous invite à regarder, au-delà des matériaux qui font le contenu d’un film, son mode de production.

Lignes de fuite, minorités et machines de guerre : repenser la politique deleuzienne

Une certaine lecture marxiste de Deleuze a vite catalogué son apport : ou bien comme une pensée apolitique, intéressée par l’art et la création, ou bien associée à la cohorte des philosophies postmodernes. Selon cette dernière lecture, Deleuze n’aurait rien à voir avec le marxisme, délaissant la question de classe au profit des minorités, rejetant la dialectique au profit de l’affirmation, ou encore préférant parler des devenirs-révolutionnaires plutôt que des lendemains de l’insurrection victorieuse. Panagiotis Sotiris, théoricien-militant combinant Althusser et Gramsci, propose ici de lire Deleuze comme une source d’inspiration profonde pour la lutte politique. Le spinozisme singulier de Deleuze, sa pensée de l’immanence, comme son élaboration schizo-analytique aux côtés de Félix Guattari, donnent à penser la politique comme expérimentation, comme production d’espaces-temps émancipateurs et résistance à des sociétés de contrôle dont l’emprise tisse notre présent.

Tariq Ali en discussion avec C.L.R. James

Réalisé en 1980 par Tariq Ali, alors figure de proue du trotskysme, cet entretien avec l’historien marxiste caribéen C.L.R. James, à la veille de son 80e anniversaire, est l’occasion pour lui de revenir sur les grands engagements qui ont nourri sa trajectoire révolutionnaire avant et après sa rupture avec la IVe Internationale, de réaffirmer ses positions sur la nature de l’URSS et sur les relations entre race et classe, mais aussi d’exposer ses idées sur des sujets dont ses écrits traitent relativement peu : la révolution culturelle en Chine et la révolution cubaine. Il y parle enfin de sa grande passion pour le cricket, un sport dont il s’attache à souligner les dimensions proprement artistique et politique.

Théâtre et révolution

En 1971 les éditions François Maspero publient Théâtre et révolution, un ouvrage regroupant vingt-deux articles publiés par Anatole Vassilievitch Lounatcharsky. Émile Copfermann, directeur éditorial chez Maspero mais aussi critique de théâtre en rédige la préface. Revenant sur sa trajectoire politique et les divergences l’ayant opposé notamment à Lénine, Émile Copfermann s’emploie à retracer le parcours de celui qui deviendra après la révolution de 1917 Commissaire du peuple à l’Instruction publique. Contribuant à définir ce que pourrait être une « culture prolétarienne » – qui ne renierait pas pour autant les œuvres du passé –, Lounatcharsky prend position dans le débat artistique, soutenant une partie des artistes avant-gardistes tout en s’opposant fermement au formalisme « issu de la décomposition de la culture bourgeoise ».

Qu’est-ce qu’une langue mineure ?

Le conflit entre une langue hégémonique et des langues subalternes est un moment à part entière de la lutte des classes. En prenant appui sur l’essai de Deleuze et Guattari Pour une littérature mineure, Jean-Jacques Lecercle s’attache à en faire la démonstration. Il propose dès lors une théorie des langues en lutte au sein d’une même « formation linguistique ». Cette perspective autorise un regard renouvelé sur l’impérialisme linguistique de l’anglais devenu langue globale et sur les résistances opposées de l’intérieur même de cette langue. Elle révèle que l’assujettissement à une langue produit des variantes, des dialectes, des syncrétismes, qui en contestent l’hégémonie. Pour Lecercle, la littérature est donc un lieu de production de langues mineures : en cela, elle met en œuvre la lutte des classes au sein du langage.

Othello au pays des soviets : sur Paul Robeson

Paul Robeson (1898-1976), chanteur et acteur africain-américain, première « star » noire de l’époque des industries culturelles, a tout au long de sa carrière tenté de lier pratique artistique et engagement politique ‒ à la croisée des luttes noires-anticoloniales et des combats ouvriers. Dans ce texte, Matthieu Renault se propose de revenir sur la trajectoire de cette figure majeure du théâtre, du cinéma et de la musique en interrogeant la portée esthético-politique d’une œuvre polymorphe qui a toujours considéré l’engagement en faveur des politiques d’émancipation comme l’une de ses visées centrales : celle d’une utopie concrète se manifestant au cœur même du matériau artistique.

Marxisme et théorie de la race : état des lieux

Les théories critiques de la race sont parfois perçues comme un élément étranger au marxisme, importées des Cultural Studies ou participant de la décomposition d’une perspective matérialiste dans la théorie. Contre ce préjugé, David Roediger dresse ici l’histoire longue ainsi que le bilan des études critique de la race : des réflexions pionnières de Du Bois aux recherches menées dans le sillage de la Nouvelle gauche sur l’histoire de la blanchité par Roediger, Ignatiev ou Allen, c’est un marxisme particulièrement original, ouvert sur d’autres formes de savoir telles que la psychanalyse et toujours fondé sur l’expérience des luttes de classe qui se révèle ainsi.

Brecht et Rancière : artiste ignorant et spectateur émancipé

Depuis l’intervention décisive de Jacques Rancière dans Le Spectateur émancipé, l’esthétique brechtienne est à nouveau accusée de pédagogisme, d’autoritarisme. Quel rapport critique entretenir avec Brecht pour permettre une relève du théâtre didactique et dialectique ? Thomas Voltzenlogel propose ici de revenir à une dimension souvent occultée du théâtre brechtien : la question de la méthode de décomposition du réel et de re-production esthétique. Au fond, ce qui garantit la démarche émancipatrice d’une esthétique dialectique, c’est la transmission d’un savoir-faire plutôt que d’un savoir, de mettre en circulation les moyens de produire et reproduire le réel.

[Vidéo] : Rencontre avec Jacobin Magazine

Le mardi 3 novembre 2015, Période organisait une rencontre publique avec Bhaskar Sunkara, fondateur et directeur éditorial de Jacobin Magazine, en discussion avec Jonah Birch.
Jacobin Magazine est désormais, pour tout l’espace de la gauche critique, du marxisme et de l’anticapitalisme, un point de référence en langue anglaise. La revue constitue à la fois un pôle de la réflexion stratégique, un espace d’intervention en conjoncture, et une véritable rencontre des tendances théoriques au sein du marxisme contemporain.

La nature du capital : un entretien avec Jason W. Moore

L’écologie politique affirme généralement vouloir protéger ou sauvegarder la nature. Pour Jason W. Moore, un tel objectif repose sur une opposition abstraite entre « la Nature » et « la Société », dont on retrouve les traces dans l’hypothèse récente de l’anthropocène, ou dans l’idée qu’il y aurait, à côté des crises économiques et politiques, une crise environnementale. Pour Moore, il n’y a qu’une seule crise : celle du capitalisme, qui dépend vitalement pour son accumulation de l’extraction de ressources, de l’appropriation d’énergie non payée et de l’exploitation des corps, c’est-­à-­dire de tout ce qu’on range habituellement sous la catégorie de « Nature ». Il nous faut donc intégrer le capitalisme dans la nature, et la nature dans le capitalisme, afin de faire émerger les objectifs communs aux luttes anticapitalistes, écologistes, féministes et antiracistes.