Introduction à Raymond Williams

Raymond Williams est bien connu comme précurseur des études culturelles, c’est-à-dire comme un marxiste préoccupé par les questions culturelles dont les travaux auraient (mal) vieilli. Si la connaissance de cet auteur s’arrête souvent ici, Daniel Hartley propose au contraire de redécouvrir Williams comme un marxiste particulièrement novateur, dont les percées théoriques sont encore bien d’actualité. Dans ce texte, Hartley éclaire trois concepts de Williams qui en font un auteur central pour aujourd’hui : la complexité, l’immanence et la longue révolution. Confrontant Williams à la critique althussérienne de son temps (Terry Eagleton), Hartley le présente comme un penseur des pesanteurs matérielles, culturelles et économiques, qui donnent à la transition socialiste une dimension tragique, c’est-à-dire proprement stratégique.

Jeter la première pierre : Qui peut, et qui ne peut pas condamner les terroristes ?

Qui peut condamner qui ? C’est à cette question, largement inexplorée dans la philosophie morale contemporaine, que Gerald Allan Cohen, figure emblématique du marxisme analytique, s’attache à répondre dans cet article afin de renouveler les termes du débat sur le terrorisme. Partant d’une déclaration de l’Ambassadeur d’Israël au Royaume-Uni, Cohen explore es différentes raisons pour lesquelles, dans certaines situations et indépendamment de toute prise de position sur la légitimé-illégitimité de l’usage du terrorisme comme réponse à un grief subi, le « droit de condamner » de certains acteurs peut et doit être remis en cause.

Situation d’Ouvriers et Capital

Paru en 1966, Ouvriers et Capital a été un événement théorique sans précédent. Mario Tronti, son auteur, y a condensé l’expérience, la pratique et la théorisation du premier opéraïsme italien, de la systématisation de l’enquête militante aux pratiques de sabotage et d’indiscipline ouvrières. Ce texte majeur opérait un renversement absolu de l’orthodoxie marxiste en plaçant l’antagonisme ouvrier-capital au cœur de l’histoire de la modernité. Dans cette préface écrite à l’occasion de sa réédition pour son cinquantième anniversaire, Andréa Cavazzini et Fabrizio Carlino reviennent sur la conjoncture de ce texte, sur sa place dans l’historie du marxisme, pour mieux en circonscrire l’actualité : l’irréductibilité du « point de vue de classe » à toute téléologie historiciste et progressiste, seule susceptible de maintenir ouverte la perspective de l’émancipation.

Famille et mouvement ouvrier : une exploration historique

Le débat sur le travail domestique est considéré comme l’un des points hauts de la théorie féministe matérialiste. L’un de ses acquis fondamentaux a été de souligner la contribution des femmes au système capitaliste, non seulement en tant que salariées mais aussi en tant que travailleuses au foyer. Pour Valentina Álvarez López, ces précieux concepts méritent d’être mis à l’épreuve de l’histoire sociale : ils ne sont en effet ni invariables ni autosuffisants. À partir de l’expérience chilienne, du XIXe siècle jusqu’à Allende, elle montre combien la structure du travail domestique s’inscrit dans des identités de genre, sexuelles, et surtout dans des politiques d’État. Des missions hygiénistes jusqu’au familialisme du mouvement ouvrier, la position économique des femmes est demeurée inséparable d’appareils idéologiques et d’institutions spécifiques. Ce texte constitue un antidote essentiel aux approches économicistes du travail domestique.

Le marxisme a besoin d’une philosophie du langage

Une philosophie marxiste du langage est possible et nécessaire. Dans ce texte, Jean-Jacques Lecercle exprime de façon concise les traits principaux d’une telle philosophie. Son acte fondateur, pensé avec Gramsci, consiste à rompre avec une vision intemporelle, héritée de Saussure, pour laquelle le langage n’est qu’un système clos. Le langage est inséparable de phénomènes extra-langagiers, des rituels et des pratiques inscrites dans des appareils idéologiques d’État. Tirer profit de cette complexité du langage, de son caractère historique, c’est concevoir toute lutte de classe comme lutte dans l’élément du langage, comme processus d’interpellation et de contre-interpellation. C’est concevoir le langage comme praxis.

La poétique transitive d’Allan Sekula : métonymie et métaphore dans Lottery of the Sea, Ship of Fools et The Dockers’ Museum

Photographe, cinéaste et théoricien de l’art, Allan Sekula n’a eu de cesse dans ses œuvres d’interroger le langage pictural du capitalisme et les problèmes de représentation soulevées par les processus de réification de l’expérience sociale. Déployant une approche matérialiste de l’image artistique en tant qu’insérée dans le tissu des rapports économiques et politiques, il a pris pour objet de ses créations The Lottery of the Sea, Ships of Fools et The Docker’s Museum l’industrie maritime comme prototype du marché mondial. Dans cet essai, Gail Day analyse les politiques de la métaphore et de la métonymie à travers lesquels Sekula s’attache à ramener la logique « sous-marine » du capitalisme à la « surface de la conscience ».

Nicole Loraux, historienne marxiste de l’Antiquité

La séparation entre les anciens et les modernes est un trait majeur de la pensée occidentale : politiques antiques et modernes n’auraient rien de commun. Dans ce texte, Gabriele Pedullà s’attache à montrer en quoi ce vieux cliché doit être démystifié. Pour ce faire, il revient sur le parcours de l’historienne Nicole Loraux et sur l’apport de Marx et Freud à une étude des représentations antiques. La séparation anciens/modernes repose sur l’idée que les Grecs se faisaient d’eux-mêmes : celle d’une grande civilisation ayant vaincu la discorde en son sein en faisant la guerre à l’extérieur. Ce récit mythique, indissociable d’une vision de la cité antique comme berceau de la civilisation occidentale, a été méticuleusement déconstruit par Loraux : la division et le conflit sont au principe de la vie collective. Pedullà rend ici hommage à la capacité de Loraux de faire parler les silences et les marges (femmes, esclaves) chez les anciens, pour mieux comprendre notre modernité.

Ni rire, ni pleurer : accélérer

On pourrait faire une cartographie de l’anticapitalisme et de ses apories en s’intéressant à son rapport au futur. D’un côté, le néo-léninisme cherche le futur dans le passé, c’est-à-dire prépare un retour des séquences révolutionnaires du XXe siècle. D’un autre côté, un néo-gauchisme diffus souhaite voir advenir le futur par une abolition du présent : le salut serait à chercher dans les communautés militantes, le refus du travail et la préfiguration du communisme. Dans cet article, Jamie Allinson éclaire les contours de ces alternatives, et en relève la limite principale : l’absence d’une approche programmatique qui cherche les tendances du futur au sein même du présent. Pour dépasser cette situation, l’auteur invite à s’inspirer du Manifeste accélérationniste. Son message est simple : exigeons de nous approprier la logistique, de socialiser la Big Data, d’utiliser la robotique pour nous libérer du travail, d’approfondir la dissolution des identités sexuées.

Pour une critique radicale de l’eurocentrisme : entretien avec Alexander Anievas et Kerem Nisancioglu

Selon le récit dominant, l’origine du capitalisme est un processus fondamentalement européen : ce système serait né dans les moulins et les usines d’Angleterre ou sous les guillotines de la Révolution française. Le marxisme politique ou encore l’analyse en terme de système-monde n’échappent pas non plus à ce pli eurocentriste. Dans How the West Came to Rule (2015), Alexander Anievas et Kerem Nisancioglu se ressaisissent de la théorie du développement inégal et combiné développée chez Trotsky pour mettre en valeur le rôle décisif des sociétés non-occidentales dans l’émergence du capitalisme. Ils offrent ainsi une théorie internationaliste et non-ouvriériste du changement social.

Jacobin Magazine : entretien avec Bhaskar Sunkara

Jacobin Magazine est désormais, pour tout l’espace de la gauche critique, du marxisme et de l’anticapitalisme, un point de référence en langue anglaise. La revue constitue à la fois un pôle de la réflexion stratégique, un espace d’intervention en conjoncture, et une véritable rencontre des tendances théoriques au sein du marxisme contemporain. Dans cet entretien, Bhaskar Sunkara, fondateur et directeur éditorial de la revue, revient sur cette expérience, les étapes qui l’ont scandée, sa place dans le champ éditorial et théorique ainsi que sur les perspectives qu’elle se donne.